Raconte-moi d’où je viens

PRIEUR Nicole, Bayard, 2007, 215 p.

Qui a entrepris de répondre aux questions lancinantes posées par des enfants sur leurs origines a très vite compris qu’aussi complètes que puissent être les réponses, elles ne font que faire surgir d’autres questions. Sauf à être « un peu spécialiste de la préhistoire, avoir quelques notions d’astrophysique, avec un petit zeste de génétique, une bonne dose d’imagination, sans oublier un brin de poésie » (p.12) on n’a peu de chance de s’en sortir. Le problème, c’est que le temps des commencements nous conduit aux confins de l’intelligible : autant l’origine est irreprésentable, inconcevable, impensable, autant le besoin est irrépressible de nous la représenter, de la concevoir et de la penser ! Parce que le récit des origines ne peut être que de l’ordre du conte, de l’imaginaire et du fantasmatique, toutes les civilisations ont conçu des mythes fondateurs. Le jeune enfant n’agit pas autrement. Dans de nombreuses sociétés traditionnelles, il naît vraiment, à partir du moment où il est inscrit dans l’ordre cosmique, spirituel et sociétal de son groupe de référence. Dès qu’il a conscience du temps, il découvre qu’il n’est pas l’auteur de sa propre existence et que le monde lui a préexisté et peut continuer sans lui. Il est troublé par l’inconcevable de l’avant lui. Qu’est-ce qu’il a besoin d’entendre ? Nous sortons d’une période qui a crié haro sur les secrets considérés comme systématiquement pathogènes. Ils ont leur raison d’être, notamment quand ils permettent de faite obstacle à aux intrusions externes. « Ne tombons pas dans le piège ni dans le dogme du tout transparent, du tout révéler » (p.93) Il ne s’agit pas de dire pour dire, mais de révéler ce qui est utile à l’enfant, ce qui lui permet de se situer dans son histoire personnelle. Ce qu’il a besoin de savoir va bien au-delà de l’acte sexuel dont il est issu. Il veut apprendre qu’il n’est pas là par hasard et qu’il y a du désir derrière l’apparente contingence de sa présence sur terre. Il a été pensé, rêvé, imaginé, bien avant sa naissance. Ce qu’il a besoin d’entendre, c’est une parole qui l’inscrive dans le désir d’un autre. Peu importe la réponse, l’important, c’est tout l’amour qui passe au travers de ce qui est dit. Se sentir appartenir à quelque chose qui le dépasse et pourtant auquel il participe constitue le premier pas vers l’altérité. Toute appartenance est ressource quand elle est mise en perspective avec d’autres. L’origine est toujours plurielle : nul ne peut être réduit à l’une de ses composantes originelles. Il est dangereux de cristalliser des valeurs ou un système de relations sur une seule et exclusive référence : bien sûr se reconnaître comme identique à l’autre peut être nécessaire pour pouvoir ensuite se différencier. Mais « si l’originaire est centrale dans l’élaboration de l’identité, il peut aboutir au pire quand il justifie le repli communautaire et au meilleur quand il introduit une altérité en acte » (p.26)

 

Jacques Trémintin – Janvier 2008