Sauve-toi, la vie t’appelle
CYRULNIK Boris, Ed. Odile Jacob poche, 2014, 291 p.
Tout évènement traumatique peut placer la victime sous l’emprise d’une mémoire sélective qui lui fait fuir les situations qui pourraient l’y faire penser, les objets qui pourraient l’évoquer et les mots qui pourraient réveiller la blessure occasionnée. L’évoquer présente le risque de faire resurgir dans la conscience l’image insupportable du choc venant envahir la nuit, de terribles cauchemars. Boris Cyrulnik sait de quoi il parle, lui qui est un rescapé de la Shoah, n’ayant réussi à échapper à l’holocauste que grâce à l’action combinée d’un certain nombre de « justes ». Dans le premier opus de ses mémoires, le célèbre neuropsychiatre évoque son passé, pour expliciter comment fonctionne l’être humain, face à de telles épreuves. Première leçon, tous les cerveaux ne réagissent pas de la même manière, ceux qui ont bénéficié, au début de la vie, de l’empreinte d’un attachement sécure résistant infiniment mieux. Mais, la possibilité de verbaliser ce qui a été vécu constitue un autre facteur de protection tout aussi essentiel, ouvrant sur la possibilité de comprendre et de se remettre à rêver. L’obligation d’avoir à se taire déchire encore plus la blessure subie. Mais, avant de parler, encore faut-il rendre les autres capables d’entendre, l’entourage ne se montrant pas toujours apte à accepter des récits pouvant être accusés d’empoisonner le retour à la vie. La crypte individuelle qui s’incruste alors dans l’âme du blessé est installée par la réaction discordante des proches et de la culture. La recherche d’une représentation partageable, donnant cohérence à l’insensé et rendant l’horreur supportable pèse sur cet arrangement des souvenirs qui sélectionne les faits passés selon leur degré d’angoisse ou de plaisir attendus. Ces mécanismes, qui expliquent le silence au retour des camps, se perpétuent aujourd’hui chez les enfants battus, violés ou rescapés des guerres.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1160 ■ 02/04/2015