Ivres paradis, bonheurs héroïques
CYRULNIK Boris, Ed. Odile Jacob, 2016, 231 p.
Boris Cyrulnik nous propose une fois de plus une mine de réflexions susceptibles de décoder une actualité qui n’est pas toujours facile à interpréter. Un enfant ne peut bien se développer que s’il est tutoré par un milieu sécurisant et apaisant, explique-t-il. Il arrive que le besoin se fasse sentir de retrouver cette figure d’attachement qui nous rassurait quand nous étions enfant. C’est la figure du héros qui structure l’imaginaire, en rallumant l’espoir, pansant l’humiliation et restaurant le sentiment de dignité des victimes. Mais, quand le chaos culturel et le désert de sens annihilent tout rêve d’avenir, cela peut aussi prendre la forme d’une héroïsation s’enfermant dans une abstraction mythico rituelle commune fondée sur un sentiment d’appartenance clôt sur lui-même et le rejet de l’autre. Les mots ne sont plus alors des outils de la pensée, mais des incantations servant à marteler et à illustrer les slogans du groupe. Il est difficile et douloureux de ne pas se soumettre à de telles récitations sociales, l’adhésion apportant bien des bénéfices, la contestation bien des soucis. Quand on suit le courant, on n’a que des amis et on éprouve la vertueuse colère de celles et ceux qui, persuadés de détenir la vérité, n’hésitent pas à mettre à mort les mécréants. Pour autant, un récit peut aussi structurer positivement une représentation du réel. Quand le réel est atroce, toute perception de ce réel non métamorphosé serait insupportable. Toutes celles et tous ceux qui ont vécu un épisode bouleversant cherchent à partager sa narration avec autrui, afin de remanier la mémoire du malheur et se sentir revalorisé. Rester seul après une effraction traumatique subie serait courir le risque de répéter les mêmes mots, de revoir les mêmes images et de rester prisonnier d’un passé non cicatrisé.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1202 ■ 02/03/2017