Critique de la pensée positive. Heureux à tout prix

NEYRAND Gérard, Éd. érès, 2024, 239 p. 

S’il est bien une mode en vogue, de plus en plus envahissante ces dernières années, c’est la place prise tant par le développement personnel que par la pensée, l’éducation et la psychologie positives. Gérard Neyrand passe cette approche au scanner, pour mieux en décrypter les logiques tant internes qu’externes.

Avant de déferler sur l’Europe, le concept est né à l’initiative de Norman Vincent Peale, pasteur de son état qui publie en 1953 : « La puissance de la pensée positive ». Cette source nord-américaine n’est pas anodine, tant le mythe fondateur de ce pays s’imprègne de cette vision. Il suffit de rappeler que l’ambition première de ses fondateurs migrants fut de construire une nation nouvelle à partir de rien, en conquérant de nouveaux territoires. Qu’ils aient massacré les populations autochtones et déporté des millions d’esclaves africains est au cœur de leur histoire. Mais, la seule leçon qu’ils aient retenue c’est que celui qui veut se construire soi-même doit chercher en lui le support pour trouver les réponses à ses problèmes.

La lutte engagée par le self-made-man pour survivre s’est longtemps opposée au choix européen d’un État fort protégeant ses citoyens. La mondialisation du modèle étasunien et l’affaiblissement de l’État social ont favorisé la promotion de ce côté de l’Atlantique d’une culture individualiste fondée sur la révélation des ressources de chacun(e) et la réalisation de ses potentialités.

Et c’est bien là le lit de la psychologie positive qui trouve notamment des applications dans l’éducation. L’enfant serait naturellement en pleine capacité d’identifier ce qui est bon pour lui. C’est la confiance qui est placée par ses parents dans son potentiel qui lui permettrait de devenir un partenaire fiable dans l’œuvre commune chargée de le faire grandir. Tout dysfonctionnement relèverait de leur responsabilité. Mais, elle pourrait être compensée par l’application de ce Programme Parental Positif (qui n’a pourtant jamais fait ses preuves) et/ou des méthodes prônées par une multitude de publications promettant chacune un résultat garanti, du moins si leurs préconisations sont respectées.

Gérard Neyrand voit là une aubaine pour justifier le désengagement progressif de l’État social et le renvoi à la famille et à la société civile de la charge de soutien et de solidarité due aux familles en difficulté. Et de mettre en garde contre une idéologie qui, non seulement s’appuie sur des représentations fantasmées tant de l’enfant que du parent, mais aussi ne fait qu’insécuriser le premier et épuiser le second. Car, ce dont a surtout besoin le petit d’Homme, c’est de bénéficier d’un cadre sécurisant qui l’aide à canaliser la force de ses pulsions, l’agressivité qui git en lui et la conflictualité qui le menace, autant de manifestations propres à tout être humain. C’est bien cet apprentissage qui lui est indispensable pour grandir et trouver sa place dans la société et non pas seulement le développement de son estime de soi qui pour être nécessaire n’est pas suffisant.

Voilà un livre râpeux qui prolonge le nécessaire débat autour d’une psychologie positive qui se veut innovante, mais qui pose beaucoup de questions dans bien de ses applications. Le message qui traverse cet essai est limpide : faut-il choisir de promouvoir la lutte contre les sources d’inégalité à l’origine de tant de souffrance humaine ou se persuader que chacun(e) possédant en soi le pouvoir de s’épanouir, il (elle) doit le stimuler et le mettre en œuvre, en s’isolant du monde et ne comptant que sur lui(elle)-même ?