Les adolescents, le sexe et l’amour
Hugues LAGRANGE, Syros, 1999, 259p.
La libération des mœurs de la fin des années 60 a pu laisser croire à une accession de plus en plus jeune à la sexualité. Les enquêtes sociologiques démontrent exactement le contraire : l’âge des premiers rapports se maintient depuis une vingtaine d’années en moyenne 17 ans. Cela ne signifie pas que la sexualité adolescente serait inexistante. Simplement, elle s’exprime avant tout par le flirt : échanges affectifs accompagnés de baisers et de caresses, l’enjeu n’étant pas de déboucher sur des rapports génitaux considérés comme le terme naturel d’un engagement amoureux durable. L’ouvrage d’Hugues Lagrange met à mal bien des représentations adultes. En se donnant comme pure envie sexuelle et non envie de l’autre, le désir perd toute légitimité explique-t-il à partir d’une étude faite auprès de nombreux jeunes tant de la petite bourgeoisie provinciale que des enfants des cités ou des adeptes des rallyes de la haute bourgeoisie. Le parcours amoureux est fait avant tout de rencontres, de sympathie et de compréhension mutuelles, de plaisir à communiquer et d’affinité. Se mettre à nu physiquement mais aussi psychiquement devant l’autre nécessite une confiance réciproque. « Or, la confiance n’est pas tenue pour acquise en général, elle possède des sphères d’élection fluctuantes, perpétuellement redécoupées par les expériences vécues. » (p.177) Pour les adolescentes, l’épreuve du temps est notamment constitutive de cette confiance. Si le garçon triomphe de cet obstacle, il donne alors la preuve de la force et de la sincérité de son sentiment amoureux. Le temps est une ordalie féminine. Le lecteur prenant connaissance de ces conceptions ne pourra que s’en trouver ravi. Il pensera que rien n’a vraiment changé fondamentalement depuis son époque. Et pourtant, le flirt constitue une pratique récente datant de la première moitié de notre siècle. Jusqu’alors, ce qui dominait c’était les chastes rencontres préalables à un mariage qui était la condition des premiers baisers mais aussi des premiers rapports sexuels. Trois facteurs sont venus bouleverser les habitudes. C’est d’abord le rabaissement de l’âge des premières règles (1850 : 16ans ; 1960 : 13 ans ; 1990 : 12,5 ans). Puis, ça aura été la généralisation de la scolarité secondaire et de la mixité. Enfin, il faut aussi invoquer l’évolution des valeurs : les garçons ont abandonné la maîtrise et le contrôle de soi pour la performance et la dépense physique, les filles la pudeur et la réserve pour la volonté de séduire. Changement majeur qui s’en est suivi, ce sont les filles qui désormais disent les conditions de recevabilité des avances et orientent leurs formes. Elles laissent hors circuit les plus jeunes qui trouvent alors des positions d’attente dans le sport et les jeux de rôle, leur préférant des partenaires plus âgés. Les jeunes mâles qui auparavant étaient initiés par des prostituées se trouvent avoir entre 15 et 18 ans une expérience sexuelle deux fois moins importante que leur compagnes.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°507 ■ 11/11/1999