Juste? Injuste? Sentiments et critères de justice dans la vie quotidienne
KELLERHALS Jean & LANGUIN Noëlle, éd. Payot, 2009, 219 p.
L’espèce humaine a toujours été assoiffée de justice. De tous temps, les hommes se sont déchirés et entretués, au nom de cette commune et tenace aspiration. Pourtant, il semble impossible de retenir une même représentation de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas. L’étude proposée ici nous le démontre amplement. Prenons le salaire. Il est considéré comme équitable, à partir de multiples critères. Les uns optent pour une comparaison avec ce que gagnent les autres salariés, privilégiant ainsi l’égalité. Les autres y cherchent, avant tout, la reconnaissance de leurs mérites : que ce soit en bosse (diplômes, expériences …) ou en creux (saleté, dangerosité, pénibilité de leur travail), préférant donc l’idée de proportionnalité. D’autres encore se réfèrent aux bénéfices réalisés par leur employeur, réclamant une participation aux performances globales atteintes. Si l’on s’intéresse à la recherche de la responsabilité d’un acte, la diversité est toute aussi grande. Que l’on considère un individu comme le jouet de forces impersonnelles qui lui échappent (providentialisme) ou que l’on regarde sa volonté individuelle comme toujours décisive (volontarisme), on ne percevra pas de la même manière le rôle qu’il peut jouer. La multiplication des perceptions est tout aussi forte, en ce qui concerne la sanction pénale. On lui attribue traditionnellement six fonctions : punir (contrepartie de l’infraction), dissuader (décourager la transgression), moraliser (rappeler les règles du vivre ensemble), neutraliser (empêcher de nuire), restituer (rembourser les dommages causés) et restaurer (permettre au délinquant de régler sa dette). Mais, chacun de ces rôles ne prendra pas la même importance, selon l’objectif fixé à un tribunal : garantir, avant tout, l’ordre social, prendre en compte la victime ou chercher à réhabiliter le délinquant. Trois conceptions de la justice qui expliquent qu’au sortir d’un procès, chaque partie puisse avoir le sentiment que justice ne lui pas été rendue. Il n’en va pas différemment au sein du couple : chacun peut attendre une place qui ne se réfère pas forcément au même registre. Est-ce un investissement équitable qui est recherché pour chaque partenaire ou bien le strict respect du statut traditionnel attribué au mari et à la femme ou encore une logique de finalité (le bien être obtenu pour le groupe familial) ? Quels que soient ses domaines d’application, la distinction entre le juste et l’injuste ne peut se rapporter à des critères de simplicité, de généralité et d’éternité. Ils s’articulent autour de trois normes opposées que sont : la demande d’égalité, la reconnaissance du mérite et la satisfaction des besoins.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°997 ■ 09/12/2010