La faim
CAPARRÓS Martín, Ed. Buchet-Chastel, 2015, 782 p.
782 pages ! Le défi semble ambitieux. Et pourtant, pas un seul instant l’auteur se montre ennuyeux ou dilatoire. Articulant un essai aux sources précises et détaillées et un reportage qui le mène aux quatre coins du globe, le livre de Martín Caparrós est passionnant de bout en bout. Du Niger au Bangaldesh, de l’Argentine au Soudan, de Madagascar à l’Inde et même aux Etats-Unis, il enquête sur un fléau qui tue trois millions d’enfants par an, huit milles par jour, trois cents par heure, cinq par minute. Plus que le SIDA, la tuberculose et la malaria réunis ! Alors que les immenses progrès de la révolution verte permettraient de nourrir 12 milliards d’êtres humains (le double de la population actuelle), 800 à 900 millions d’habitants de cette terre souffrent de sous-alimentation, de dénutrition, de malnutrition structurelle, d’insécurité alimentaire… en un mot, ils crèvent de faim. Les causes de ce scandale planétaire sont multiples. L’auteur les énonce page après page. Les USA consacrent chaque jour 1,76 milliard à son budget militaire et le monde a investi 3.000 milliards $ en 2008 pour sauver ses banques. Or, selon le FAO, 300 milliards de $ annuels pendant dix ans suffiraient pour éradiquer la famine. Or, c’est exactement le montant de la subvention versée chaque année par l’occident à son agriculture pour la rendre concurrentielle sur le marché mondial. Ruinés par cette compétition, les agriculteurs des pays pauvres sont incités à se tourner vers les cultures d’exportation au détriment des productions vivrières. C’est aussi ce à quoi sont consacrés les terres achetées par les pays riches : 56 millions d’hectares en 2010. Si, en 2013, le monde produisait 85 milliards de litres d’Éthanol (contre 17, en 2000), avec les 170 kilos de maïs nécessaires pour remplir un réservoir d’agro carburant, un enfant affamé survit une année. Alors que pendant des millénaires, l’espèce humaine consomma exceptionnellement de la viande, l’occident la place au centre de l’assiette, les vibres végétales devenant un complément. Or, il faut dix calories végétales pour obtenir une calorie de vache et 15.000 litres d’eau pour en obtenir un kilo (contre 1.500 litres pour un kilo de maïs). Rajoutons que la nourriture a été financiarisée au même titre que le pétrole que le pétrole ou l’or. La spéculation jouant sur les cours du bétail, du café, du cacao ou du blé, est responsable de hausses de prix spectaculaires : la nourriture a augmenté de 80 % entre 2005 en 2008, provoquant plus de quatre vingt émeutes de la faim. « En finir avec la faim, c’est changer de modèle » (p.766) conclue avec raison l’auteur.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1204 ■ 30/03/2017