Posséder. Pourquoi nous voulons toujours plus que ce que nous avons

HOOD Bruce, Éd. FYP, 2021, 226 p

La planète ne possède qu’1,9 hectares par personne pour fournir à l’humanité les ressources à son existence qui en consomme déjà 2,3. Comment expliquer cette quête insatiable d’une accumulation de biens et de richesses qui nous mène droit dans le mur ?

L’un des premiers mots que le bébé prononce est souvent « à moi », quand il veut garder un objet auquel il tient ! Cette pulsion de possession, à l’origine du réflexe d’appropriation et de l’acte social de propriété, serait-il inné chez l’être humain ?

La réponse à cette question s’abreuve aux sources tant biologiques que culturelles, historiques que psychologiques. Registres largement utilisés par l’auteur, Bruce Hood, docteur en psychologie, spécialiste des neurosciences cognitives.

Il est vrai que pendant 95 % de son existence l’homo-sapiens n’a guère eu l’occasion de posséder grand-chose. L’itinérance, que lui imposait son mode de vie de chasseurs-cueilleurs, le contraignait à ne détenir que ce qu’il pouvait emporter avec lui. Les biens présents n’étaient pas possédés individuellement, mais collectivement. Non par choix, mais du fait d’un mode de vie communautaire ne laissant guère de place à la propriété personnelle.

C’est avec la production d’excédents de ressources que la question s’est posée de leur attribution. C’est alors qu’a commencé cette course sans fin à l’accumulation dans laquelle nous nous trouvons encore aujourd’hui. « Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire ‘ceci est à moi’ et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile » affirmait Rousseau en 1754

chaque époque et chaque civilisation ont néanmoins leur propre définition de ce qu’est la propriété. Ce n’est là rien d’autre qu’une convention, une construction mentale et une précision juridique spécifiques et singulières à chaque communauté humaine.

La propriété s’étend aux biens, aux objets, aux terres, aux bâtiments, à la production intellectuelle, à son image, à son corps… Mais elle a pu tout autant concerner ses esclaves, son épouse ou ses enfants.

S’il est difficile de lui donner une définition, il est néanmoins possible d’en établir les limites  : contrôle de l’accès physique à une ressource qui ne peut être utilisée librement sans l’accord de son propriétaire.

Reste à comprendre pourquoi la possession entraine une soif inextinguible d’en avoir toujours plus

Première hypothèse présentée par l‘auteur : la compétition pour la reproduction. Comme toutes les autres espèces, l’être humain cherche instinctivement à impressionner ses éventuel(le)s partenaires, en arborant des attributs en apparence inutiles, mais marqueurs fiables de certaines qualités attendues. La consommation ostentatoire est là pour impressionner les autres.

Seconde hypothèse : l’espèce humaine est avant tout formatée pour (et par) une sociabilité qui fut pendant longtemps la condition de sa survie. Mais chacun de ses membres est porté à se distinguer. Avec la conviction d’être ce qu’il a, de forger son identité à partir de ce dont il dispose, d’exister à travers ce qu’il détient. Plus il possède, plus il a le sentiment d’avoir de la valeur.

Troisième hypothèse : le circuit mental de la récompense est activé par la démarche d’acquisition. Plus nous accumulons, plus nous stimulons les neurones libérant de la dopamine, hormones du plaisir.

Le problème c’est que la pulsion incitant à prendre possession de quelque chose ne produit jamais la pleine satisfaction attendue, contraignant à reproduire l’opération à l’infini. L’acquisition ne fournit jamais le contentement recherché, puisque c’est son anticipation qui procure la gratification souhaitée, la quête étant plus importante que la prise. « L'homme n'est point la somme de ce qu'il a, mais la totalité de ce qu'il n'a pas encore, de ce qu'il pourrait avoir. » disait Jean-Paul Sartre

C’est bien pour cette raison qu’aucune causalité n’a jamais pu être établie entre la possession et le bonheur. Certes, une augmentation des ressources pour les plus pauvres ne peut qu’apporter un mieux-être. Mais au-delà d'un certain seuil, l’augmentation de la richesse n’entraîne pas d’augmentation équivalente du bonheur, comme la démontré en 1974 l’économiste de Richard d’Easterlin, à travers le paradoxe qui porte son nom.

Et l’auteur d’en conclure que si l’accumulation est facteur de progrès humain, il est aussi cause de sa destruction.