Faut-il éliminer les pauvres ?

ECKEN Françoise, L’harmattan, 2007, 255 p.

Voilà un bien curieux ouvrage constitué d’analyses des plus pertinentes auxquelles se greffent des considérations parfois hâtives qui ne sont pas sans rappeler des brèves de comptoir. L’auteure accumule des anecdotes qui mettent en scène une administration kafkaïenne, une justice aveugle, des institutions iniques, sans compter des travailleurs sociaux incapables quand ils ne sont pas dans la toute-puissance ou l’abus de pouvoir. A croire que face aux plus défavorisés, il n’existerait que des interlocuteurs malveillants. La logique proposée est implacable. Les pauvres sont autant victimes de la pauvreté que de l’image que la société renvoie de la précarité, affirme l’auteure. Si le RMI a été initialement conçu pour aider à l’insertion de la fraction la plus pauvre de la population, une autre logique était sous-jacente : prévenir le risque d’une délinquance de survie chez les plus démunis. Progressivement, la société s’est déresponsabilisée, en niant le rôle essentiel qu’elle joue dans la fabrication de l’exclusion, traitant celui qui en souffre en délinquant, en malade ou en marginal. Le contrôle social est devenu le seul moyen pour se protéger contre la menace d’un pauvre devenu un inutile, un fainéant et un danger social potentiel. Et c’est bien cette stigmatisation, cette humiliation et ce rejet qui induisent une honte qui enferme la personne dans son statut d’exclu, autant sinon plus que le manque d’argent. « Le pauvre en vient naturellement à croire que si tout le monde l’estime incapable et mauvais, c’est qu’il doit l’être. Il en arrive à conclure que le mal vient de lui, que c’est de sa faute » (p.79) Cette hypothèse est assez convaincante. Il n’en va pas de même de la suite : la dénonciation systématique des services sociaux accusés tour à tour de pratiques les amenant à « reléguer l’autre à la marge » (p.85), à ne pas travailler dans le respect de l’usager (p.86), à se sentir supérieurs aux pauvres, à « être confits de certitude » et à « tomber dans un paternalisme dégoulinant »(p.102), à « minimiser généralement le pouvoir potentiel qui existe dans une relation d’aide » (p.109), à penser que « le pauvre, englué dans ses problèmes, ne peut réfléchir convenablement » (p.111) etc... Les travailleurs sociaux sont habillés pour l’hiver : c’est l’éducateur indifférent à la tentative de suicide d’un jeune (p.105) ou encore mieux l’assistante sociale donnant rendez-vous à un rmiste à son propre domicile et monnayant une aide financière contre un rapport sexuel (p.45) ! Rassurons-nous, les professionnels du social ne sont pas les seuls à être ainsi vilipendés. Un tel réquisitoire peut sembler dans un premier temps quelque peu irritant. Mais très vite, la dénonciation du sort réservé aux plus pauvres emporte l’adhésion du lecteur et finit par séduire, à condition toutefois, de prendre le recul et la distance que n’adopte manifestement pas son auteure.

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°886 ■ 29/05/2008