L’agriculture a changé, qui va leur dire ?

MAHEUX  Françoise, éditions du centre d’histoire du travail, 2007, 173 p.

Les années 1960 furent riches en encouragements pour produire et produire toujours plus dans l’agriculture. Il s’agissait alors d’atteindre l’autosuffisance alimentaire. Dans les années 1970, la surproduction laitière atteignit des niveaux inégalés : on vendait le « beurre de noël », à bas prix, pour vider les chambres frigorifiques qui débordaient. La décennie 1980 fut celle d’une restructuration passant par l’élimination des plus faibles, ceux qui ne savaient pas évoluer, ni se montrer suffisamment compétitifs et performants. C’est cette descente aux enfers que nous décrit Françoise Maheux, Conseillère en économie sociale et familiale au sein de la mutualité sociale agricole de Loire Atlantique. Si les Conseillers d’entreprise de la Chambre d’Agriculture furent alors chargés du suivi les « redressables », ce sont les travailleurs sociaux de la MSA à qui l’on confia les « non redressables ». Dure tâche que celle qui consiste à tenter d’offrir un peu de temps pour ne pas mourir tout de suite, de rafistoler pour maintenir momentanément la tête hors de l’eau, de bricoler au coup par coup, en donnant un petit conseil technique par ci, en entamant une négociation avec un créancier par là. Et puis, oser jeter à la face de l’agriculteur que son activité ne lui permet pas de faire vivre sa famille : ce qui rentre est insuffisant comme ressources, ce qui ne fait que l’endetter toujours plus. Mieux vaut établir un constat de faillite ; mieux vaut arrêter l’exploitation, sans n’avoir rien à proposer en échange. Mettre de l’ordre, mais quel ordre ? Etre le rouage d’une mécanique destructrice en marche, être impuissante à renverser le cours des choses, ne pas être capable de porter la voix des plus faibles ? Et puis, encore, se heurter au refus de regarder la réalité en face : les vaines promesses aux créanciers, les médicaments pour endormir l’anxiété, le travail au noir pour gagner l’argent aussitôt englouti, mais surtout ne rien céder, garder la terre. Quelle capacité à se serrer la ceinture, à ne rien laisser transparaître, à garder tout pour soi, à espérer contre toute espérance ! Comportements en apparence irrationnels ou suicidaires : il a fallu à Françoise Maheux, entrer tout doucement dans la culture  paysanne, elle qui ne savait pas reconnaître la bonne de la mauvaise terre et ne connaissait rien de cette dépendance immémorielle aux pluies, au vent, au temps qu’il fait. C’est en leur hommage, qu’elle a recueilli les paroles de ceux qu’elle a croisés, pour qu’elles ne meurent pas complètement dans l’oubli : un mot, une phrase, comme autant de traces de la plainte, de la honte, du désarroi, du silence aussi parfois conséquences de la perte du sens du métier, de l’identité, et des repères de toute une profession.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°895 ■ 04/09/2008