Les stratégies absurdes. Comment faire pire en croyant faire mieux
BEAUVALLET Maya, Seuil, 2009, 152 p.
Depuis 30 ans, la nouvelle doxa managériale prétend avoir trouvé la manière d’améliorer la réussite des agents économiques, tout autant que celle des administrations. La motivation principale de l’activité humaine tiendrait tout entière dans l’intérêt individuel concrétisé par l’appât du gain ou le contraire la peur de perdre des sources de revenus. Il suffirait donc d’organiser toute une série d’incitations financières corrélées à des indicateurs d’efficacité à respecter. La réalité est bien plus complexe, les désirs des Hommes étant infiniment divers, leurs préférences des plus variables et leurs humeurs souvent inconstantes. Maya Beauvallet nous fait ici une démonstration lumineuse de l’échec de cette idéologie, au travers de toute une série d’effets pervers qui montrent comment elle finit par aboutir au contraire de ce qu’elle avait prévu. Prenons d’abord la mesure de la performance. Si on tente de l’établir au niveau individuel, on fausse la réalité, en niant le rôle du travail collectif et de la coopération. Mais si on essaie de l’établir au niveau du collectif de travail, on obtient une standardisation des comportements à un niveau moyen, les efforts de chacun ayant tendance à être lissés et à s’égaliser. Si l’on cherche à mesurer les salariés les uns par rapport aux autres, on les place en compétition, les incitant certes à améliorer leurs résultats, mais aussi à saboter ceux des autres. Le management par objectif n’est pas forcément plus efficace : fixer un quota à atteindre dans un délai donné, incite les salariés à remplir le but demandé, sans forcément chercher à le dépasser, même s’ils en ont la possibilité. Il en va de même pour les primes au résultat : une fois la récompense obtenue, l’effort se ralentit. En fait, tous les indicateurs savamment élaborés se heurtent à la même dérive : ils encouragent la concrétisation de la tâche spécifique mesurée, au détriment de celles qui ne le sont pas. Certes, dans les premiers temps de leur mise en place, ils semblent souvent suivis d’une amélioration des résultats évalués. Mais, cela ne démontre en rien un quelconque gain d’efficience, bien plutôt une meilleure connaissance de ce qui est demandé et une amélioration de la stratégie pour s’y adapter, à moindre effort. Par quelque bout qu’on les prenne, ces indicateurs faussent la perception de la réalité : ce n’est plus la qualité que l’on recherche, mais l’amélioration des résultats quantitatifs venant les satisfaire. La recherche délibérée de motivations étrangères (extrinsèques) à l’individu a eu pour conséquences de rompre avec les notions de devoir et d’engagement, autant de motivations internes (intrinsèques) qui poussaient l’individu dans une logique de l’honneur, à accomplir le mieux sa tâche.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°961 ■ 18/02/2010