L’allumette et la bombe. Jeunes: l’horreur carcérale
Bernard OLLIVIER, Phébus, 2007, 191 p.
Notre pays a peur de ses adolescents délinquants. Pendant longtemps, les considérant comme des enfants pervers, inéducables, inaffectifs et surtout inamendables, il les a relégués dans des bagnes et autres colonies pénitentiaires. L’action engagée à partir de 1945 et qui visait à leur éducation a porté ses fruits. Et puis, quand la machine à intégrer est tombée en panne et que l’emploi n’est plus venu absorber les jeunes trublions, on est progressivement passé de 13.500 mineurs concernés par la justice en 1954 à plus de 100.000 aujourd’hui. Face à cette vague, beaucoup veulent en découdre avec eux, sans essayer de les comprendre. « Jamais depuis un demi-siècle, la volonté des pouvoirs publics n’a été aussi aveuglément répressive envers les jeunes délinquants. » (p.143) Les jeunes de banlieues ont, eux aussi, peur de la vie que notre société leur a tricotée. Bernard Ollivier décrit l’enfermement dans des ghettos, la stigmatisation par une presse instrumentalisée, le harcèlement de la police, une répression de plus en plus féroce autant qu’inefficace... Les sommes faramineuses consacrées à la création des Etablissement pénitentiaires pour mineurs manquent à l’action préventive. Ainsi le calcul a été fait du coût de construction de 60 cellules qui équivalent à la prise en charge en milieu ouvert de 1200 jeunes durant 8 ans ! Ceux qu’on incarcère sont avant tout des victimes brutalisées par la vie, privées d’amour ou confrontées à un trop plein étouffant dans leur famille, abandonnées par les adultes. Quand ils sortent de prison, ce sont soit des loques qu’on a brisés, soit des caïds pleins de haine. La récidive concerne 90% d’entre eux. Pourtant, en les écoutant, on peut entrouvrir la carapace qu’ils se sont fabriqués pour se protéger des tourments. En leur tendant la main, on peut réveiller l’enfant recroquevillé en chacun de ces voyous. Bernard Ollivier n’est pas un doux rêveur. En 1999 et 2000, il suit à pied la route de la soie, sur 6.000 kilomètres. A son retour, il crée une association pour offrir à de jeunes délinquants qui sont volontaires une dernière chance pour se réinsérer. L’association « Seuil » leur propose une marche de 2.000 kilomètres à l’étranger. Les adolescents aux existences fracassées ont le choix entre deux attitudes : se victimiser ou se battre. Un telle marche est un pari fou, comme celui qu’ils pratiquent quotidiennement, en transgressant les lois et en risquant l’incarcération. Accompagné par un adulte solide et fiable, le jeune est alors face à la panique qu’implique l’inconnu et au délicieux frisson du danger. Il découvre qu’il est capable du meilleur comme du pire : « je suis parti, j’étais un blaireau, je suis revenu en héros ». Il se constate capable de dépasser ses limites physiques, de dominer ses peurs de fuite, de juguler ses colères et de résister à la pulsion. La démonstration est faite : la prison n’est pas la seule solution !
Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°840 ■ 10/05/2007