Justice ta mère ! Justice et injustices vues par un juge en réponse aux jeunes
Jean-Pierre ROSENCZVEIG, éditions Anne Carrière, 2003, 354 p.
Il est des questions que les jeunes nous posent qui peuvent nous placer dans l’embarras. C’est que le monde des adultes que nous représentons est vraiment très loin d’être exempt de cette injustice qui les emplit parfois d’une haine qui, pour être légitime, les place néanmoins en bute avec la société. Comment leur répondre, sans tomber ni dans le conformisme, ni dans le jeunisme ? Jean-Pierre Rosenczveig nous propose ici un exercice qui pourrait inspirer le lecteur dans certains faces à face délicats : il se livre au jeu des questions/réponses, à partir de ce qu’il a eu à vivre dans son cabinet de juge des enfants ou face à des lycéens avec qui il a eu l’occasion de dialoguer. Le point de vue à partir duquel il répond est celui du droit. Il se refuse a priori à donner plutôt raison aux jeunes générations ou aux institutions, mais n’hésite pas à les renvoyer les uns et les autres au nécessaire respect réciproque. Ainsi, est-il intraitable face aux insultes que subissent certains policiers : « il n’y a aucune raison qu’ils se laissent injurier et qu’on les laisse se faire injurier par quiconque ». Mais c’est pour aussitôt déplorer certains abus de pouvoir commis par des fonctionnaires de police : contrôles d’identité contestables, fouilles au corps vexatoires (seul un médecin est autorisé à pratiquer une investigation corporelle interne), violences diverses ... et de conseiller, en cas d’incident de cet ordre, de ne pas hésiter à porter plainte auprès du procureur, de l’IGS (police des polices) ou de se rapprocher d’une association de défense des droits de l’homme. Voilà, le ton est donné. Pour l’auteur, la loi, l’administration, la police ont perdu beaucoup de leur crédibilité auprès des jeunes, parce que ces institutions ont failli dans leur mission de protection et qu’elles envoient trop souvent un message de justice à deux vitesses. Suivent plus de 220 questions qui font l’objet soit de réponses brèves, soit de longs développements. L’ensemble est classé en quatre grandes partie : la police et la justice, la famille, l’école et enfin la société. Jean-Pierre Rosenczveig fait au passage un sort à certaines légendes et rumeurs : « ils ne peuvent rien contre moi puisque je ne ferai aucune déclaration » (la loi française permet de se taire, mais elle permet aussi au juge d’en tirer les conclusions), « pour perquisitionner dans ma chambre, il faut mon autorisation » (c’est vrai pour une enquête dite préliminaire, mais pas en cas de flagrant délit ou s’il y a un mandat), « cela ne sert à rien d’aller voir un avocat commis d’office, il ne fera rien » (en général, les avocats commis d’office se font un honneur de défendre aussi bien que s’ils étaient choisis et payés), « le laxisme de la justice » (entre 1980 et aujourd’hui, on est passé de 37.000 à 60.000 détenus !), « je vais demander mon émancipation » (seuls les parents peuvent le demander et le juge d’instance ne l’acceptera que si le jeune a les moyens intellectuels, affectifs et matériels de vivre de façon autonome), « mes parents divorcent, je veux être entendu par le juge » (le juge peut accepter ou refuser de l’entendre : il est seul à le décider) etc ... Jean-Pierre Rosenczveig en est convaincu : il ne suffit pas de poser des interdits, de rappeler la loi ou de renforcer le processus répressif. Encore faut-il expliquer ce qui fonde ces règles. Mais le droit n’est pas une matière enseignée à l’école et la vision qu’on en donne est toujours atrophiée et parcellaire, insistant toujours plus sur les sanctions que sur la prise de responsabilité. Ce que son ouvrage essaie de corriger.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°675 ■ 28/08/2003