Les assistantes sociales au temps de Vichy

Armelle MABON-FALL, L'Harmattan, 1994, 163 p.

Quand on évoque les assistantes  sociales au moment du régime de Vichy, on a trop souvent le réflexe d'entonner l'air du "temps des collabos" plutôt que celui de "papy fait de la résistance" ! Et pourtant, les choses sont bien plus compliquées qu'il n'y paraît. C'est ce que démontre fort bien Armelle Mabon-Fall dans un ouvrage qui rétablit la réalité historique dans toute sa complexité.

Côté cour, ce n'est certes guère reluisant. En 1940, le service social se veut un élément indispensable du relèvement de la France et s'engouffre allègrement derrière la propagande de l'Etat Français. Les hauts fonctionnaires pétainistes ne s'y trompent d'ailleurs pas, eux qui encensent une profession-relais à leur politique familialiste et nataliste.

Côté jardin, les choses sont moins simples. Face à la débâcle et à l'exode des populations fuyant l'avance allemande, nombreuses sont les assistantes sociales qui s'engagent résolument pour proposer aide et soutien en structurant notamment le Secours National, organisme créé en 1939 et proposant alors une assistance tout azimut.

Et puis, face à la montée de l'antisémitisme et à la systématisation des persécutions, les formes de désobéissance civile se diversifient. Il ne s'agit pas alors d'une réaction de corps mais bien plus de superposition de prises de conscience individuelles qui se concrétisent en actes : faire passer la ligne de démarcation entre zone libre et zone occupée, fausses attestations, placements d'enfants juifs à la campagne sous de faux noms, attribution de bons alimentaires permettant aux familles juives cachées de subvenir. Profitant de leur apparente neutralité, nombre d'assistantes sociales, rusant avec leur administration, voire tenant un double discours, se livrent à des myriades d'actes clandestins.

A partir de 1943, on assiste à une désaffection massive des professionnelles qui refusent de couvrir les exactions du régime : elles démissionnent alors avec éclat à une époque où il n'était ni anodin ni sans risque de le faire. Mais on trouve aussi de fortes personnalités qui prennent une part active dans la résistance, soit comme combattantes directes soit comme organisatrices et activistes des services sociaux des mouvements clandestins. Elles paieront leur tribut de déportées et de victimes.

Pourtant, de tout cela, il ne reste que le discours vichyssois tenu effectivement par certaines professionnelles. A la libération, de véritables campagnes fustigeront l'ensemble des assistantes sociales, leur reprochant d'avoir démérité. C'est dans de telles circonstances, que la profession ratera son rendez-vous historique avec une juridiction interne garantissant le fondement de ses actes. Alors que l'Ordre des médecins, celui des pharmaciens ou des architectes créés sous le régime de Vichy seront maintenus après la guerre, l'esquisse d'une structure identique pour les assistantes sociales, qui avait été dessinée à la même époque, n'aboutira pas malgré une tentative législative en 1947.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°300  ■ 30/03/1995