Le grand truquage, comment le gouvernement manipule les statistiques
DATA Lorraine, La découverte, 2009, 180 p.
Rédigé par un groupe de fonctionnaires, que le devoir de réserve oblige à rester anonymes, cet ouvrage montre comment les statistiques officielles posent autant d’interrogations qu’elles apportent de réponses. Comment expliquer une telle défiance ? Il y a d’abord une société hyper médiatisée qui contraint à livrer son message en vingt secondes. Il y a ensuite cette quantofrénie, maladie contagieuse consistant à croire que les chiffres parlent d’eux-mêmes et donnent le sentiment de maîtriser son sujet. Il y a eu encore la Loi organique relative aux lois de finance (LOLF) qui a imposé à l’État le passage d’une culture de moyens à une culture de résultats, nécessitant la production d’une évaluation avant tout quantitative. D’où la première tentation : celle de remplacer l’argumentation par l’énoncé de chiffres sensés objectiver la réalité, faisant naître un nouvel adage : « la raison d’être des statistiques, c’est de vous donner raison ». Et la seconde : faire pression sur les administrations pour qu’elle produisent des résultats chiffrés conformes à ses objectifs. L’ouvrage identifie quatre techniques de manipulation. La première consiste à ne retenir que les chiffres qui arrangent. La stagnation du pouvoir d’achat moyen ne dit rien des 42,6% de hausse des revenus des 0,01% des foyers les plus riches. Seconde technique pour brouiller les pistes : utiliser un indicateur écran qui vient masquer l’évolution réelle. Ainsi, de la forte augmentation des atteintes aux personnes chez les mineurs (+ 24,7% entre 2002 et 2007) qui justifie la prise de mesures répressives, au mépris d’une vue globale, les faits graves ne concernant pour cette catégorie de la population qu’1,3% des infractions. Troisième technique : changer la façon de compter. Les statistiques internationales retiennent le calcul de la pauvreté à partir du revenu médian (tenant compte de l’évolution générale du pouvoir d’achat). Martin Hirsch a proposé de n’utiliser que le revenu ancré dans le temps (donc qui reste figé à un montant donné). Résultats : entre 2000 et 2005, avec le premier calcul, le taux de pauvreté a stagné (12,5% à 12,1%), avec le second il a baissé de 22% (passant de 12,5% à 9,7%) ! Dernière astuce : faire dire à un chiffre ce qu’il ne dit pas. L’augmentation du taux d’élucidation de la police et de la gendarmerie (26,3% à 36,1% entre 2002 et 2007) a été d’autant plus aisé que ceux-ci ont privilégié des domaines facilement élucidables : augmentation de 70% de l’identification des infractions au droit des étrangers et de 45% à la législation sur les stupéfiants. Ces dérives perdureront tant que chaque gouvernement cherchera à placer à la tête des administrations productrices de statistiques des dirigeants qui leur sont favorables.
Paru dans LIEN SOCIAL ■ n°959 ■ 04/02/2010