Pourquoi désobéir en démocratie ?
OGIEN Albert & LANGIER Sandra, La Découverte, 2010, 212 p.
Refuser d’appliquer une loi démocratiquement votée constitue une menace contre le principe même de la démocratie, sauf quand s’opposer au choix de la majorité apparaît comme l’ultime moyen de combattre l’abjection. Face à la multiplication des appels à la désobéissance civile, deux réflexions nous sont proposées ici. La philosophe Sandra Laugier l’affirme d’emblée : la démocratie s’affaiblit, quand elle étouffe les revendications minoritaires et se grandit quand elle garantit l’exercice de contre-pouvoirs. La contestation va du vote sanction à l’insurrection, en passant par l’abstention, le boycott, les pétitions, les manifestations, la grève, l’usage modéré et symbolique de la violence ou l’émeute. La désobéissance civile se distingue, en s’articulant à quatre principes : l’acte est public ; il est motivé par un impératif moral supérieur ; il est personnel, tout en s’inscrivant dans un cadre plus général de protestation. Plutôt que de décrire les différentes formes de la désobéissance civile, le sociologue Albert Ogien évoque les réactions qui ont présidé à leur émergence. Celles-ci s’inscrivent en opposition au nouveau paradigme libéral inspiré de la culture d’entreprise qui transforme radicalement la gouvernance des administrations. A la dépense de sommes allouées pour accomplir un certain nombre de missions qui leur sont confiées, a succédé une nouvelle organisation se pliant aux normes budgétaires et financières de la comptabilité analytique. Les objectifs visés relèvent de l’évaluation des performances, du contrôle de la productivité et de l’estimation du degré de réussite. Il faut réduire le déficit de la sécurité sociale ? On demande aux médecins généralistes d’indiquer leur prescription, pour une maladie donnée. On en tire une pratique thérapeutique moyenne que l’on fixe comme standard. On attribue ensuite une prime à ceux qui la respectent. Il faut assurer l’efficacité du système scolaire ? On multiplie les tests, afin de mesurer les acquis des élèves et les comparer aux méthodes pédagogiques employées. On obtient ainsi la norme expliquant comment les élèves doivent apprendre et comment les enseignants doivent enseigner. Il faut diminuer les dépenses des hôpitaux ? On détermine le coût approximatif, mais réaliste et fondé, d’un épisode de soin. L’établissement ne percevra rien au-delà du taux moyen de remboursement de cet acte, même si un dépassement apparaît nécessaire dans le traitement singulier d’un patient. Face à une telle remise en cause du service public, rien d’étonnant à ce que s’organisent des actes de résistance. Ce n’est pas d’une remise en cause du contrat social dont il est question ici, mais de sa renégociation.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1013 ■ 07/04/2011