Islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le "problème musulman"
HAJJAT Abdllali et MOHAMMED Marwan, Ed. La Découverte, 2013, 302 p.
Loin de cette démagogie et de ces prises de positions hystériques, dont nous sommes trop souvent abreuvés, l’ouvrage de Abdllali Hajjat et Marwan Mohammed aborde avec rigueur et précision l’émergence de cette forme particulière de discrimination qu’est l’islamophobie. Ils commencent par démonter l’affirmation selon laquelle ce concept aurait été inventé par des mollahs iraniens. Il a été conçu en réalité, dans les années 1910, par un groupe d’ethnologues administrateurs coloniaux. Ils continuent, en expliquant que l’islamophobie ne peut être réduite à un simple racisme, car il ne stigmatise pas une ethnie particulière. Les auteurs la définissent comme la construction d’un problème musulman, dont la solution résiderait dans la discipline des corps et des esprits. L’islam ne serait pas une religion hétérogène et dynamique, traversée par ses débats internes. Elle serait un monolithe statique, totalement distinct et marqué par une identité unique. Les musulmans auraient un habitus culturel à ce point différent et des structures mentales tellement spécifiques, qu’ils seraient à l’évidence non intégrables et hostiles à la logique républicaine française. On doit l’élaboration de cet ensemble de préjugés à l’école de pensée orientaliste qui s’est focalisé sur l’interprétation du Coran comme seul déterminant du fonctionnement des musulmans, en dehors de tout facteur économique, ethnique et social. Cette essentialisation s’est radicalisée à compter des attentats du 11 septembre 2001, à travers l’établissement d’un continuum entre islam, islamisme et terrorisme. Et c’est cette construction du mythe islamophobe cherchant à écraser la pluralité et la complexité des identités qui est décrit ici, le musulman ayant remplacé le juif dans les représentations du bouc émissaire chargé de tous les malheurs de la société.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1168 ■ 03/09/2015