Le retour de l’intolérance. Sectarisme et chasse aux sorcières

Bernard LEMPERT, Bayard, 2002, 304 p.

L’ouvrage de Bernard Lempert apparaît comme le grain de sable politiquement incorrect. Son argumentation vient bousculer bien des certitudes parfois un peu simplistes. L’auteur n’y va pas par quatre chemins : les mouvements sectaires sont traités comme l’ont été les mouvements hérétiques d’autrefois. Seule différence : aux persécutions physiques ont succédés les procédés d’exclusion. Se trouve-t-on là face à une défense et illustration de la liberté religieuse tant prônée par les sectes ? Mais non, Bernard Lempert déplorant que des gens suivent des mouvements prônant une idéologie délirante, qu’il s’y engagent en donnant le meilleur d’eux-mêmes, pour s’apercevoir ensuite avec amertume et déception de la manipulation mentale dont ils ont été victimes, des années dont ils ont été spoliés. Pour autant, « une croyance si excentrique soit-elle a droit de cité, du moment que ses partisans respectent les lois de leur pays » (p.9). Et de dénoncer l’amalgame qui utilise les crimes et délits de quelques groupes effectivement liberticides pour porter le discrédit sur toute forme de dissidence spirituelle. Et de constater qu’une démocratie qui, au lieu de favoriser le débat, manie l’anathème ne fait qu’utiliser les mêmes armes que ceux qu’elles dénoncent : diaboliser ceux qui n’ont que le diable à la bouche. La commission parlementaire qui a officié en 1996, en publiant une liste de 172 sectes réputées dangereuses, n’a fait que suivre les pas de la sinistre commission Maccarthy qui lança aux USA, dans les années 60, la chasse aux sorcières communistes : dans un cas comme dans l’autre, aucun des accusés n’a pu bénéficier des règles de droit que sont la procédure légale ou la défense, avant d’apparaître sur une véritable nomenclature d’hérétiques. L’auteur rappelle que la commission du parlement français s’est réuni à la suite des massacres de l’Ordre du Temple Solaire, sous la pression d’une opinion publique inquiète. C’est bien une réaction d’affolement et de précipitation qui ont alors présidé à une démarche dominée par la peur : les sectes étant présentées comme s’infiltrant, progressant, se cachant, menaçant d’invasion. « Chaque fois qu’un processus de désignation essaie de fabriquer un bouc émissaire qu’il présente comme le dangereux porteur de la faute et du mal, nous devons nous demander si ce n’est pas le processus lui-même qui est dangereux » (p.21) s’interroge l’auteur qui parallèlement soupçonne les gourous de prendre le relais des maltraitances ou carences vécues dans l’ enfance : et si l’entrée dans un groupe réellement coercitif s’expliquait d’abord par d’anciennes blessures, à commencer par des souffrances de filiation ? En donnant du pouvoir aux premiers maître venus, l’adepte ne ferait rien d’autre que de reproduire une ancienne soumission, répétition d’une scène malheureuse vécue dans la famille d’origine. Bernard Lempert nous propose ici un espace de réflexion et un angle de questionnement qui refuse que la lutte contre les sectes totalitaires se fasse au détriment du droit à la dissidence spirituelle.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°684  ■ 30/10/2003