40 coups de fouet pour un pantalon
AL-HUSSEIN Lubna Ahmad, Plon, 2009, 225 p.
Les fondamentalistes en rêvaient, le Soudan l’a réalisé. Ce pays, constitué de 350 tribus arabes au nord et africaines au sud, comporte trois confessions : musulmane (62%), animiste (22%) et chrétienne (16%). Ce qui n’a pas empêché le gouvernement central d’adopter, en 1983, la charia comme loi fondamentale. Une police des mœurs a vu le jour, chargée de veiller à la morale publique. Les normes en vigueur ne sont pas seulement ridicules, elles sont révoltantes. Passe encore ces jeunes islamistes qui dialoguent à quatre mètres de distance, la jeune fille en burqa, le jeune homme lui tournant le dos, pour respecter les convenances. C’est à hurler de rire, mais après tout ça les regarde. Ce qui est insupportable, ce sont ces mêmes règles imposées à toute la population : un homme et une femme ont interdiction d’être en tête à tête, s’ils ne sont pas mariés ou frère et sœur. Deux personnes de sexe opposé, surpris par la police feront l’objet d’une arrestation. Ils auront intérêt à avoir sur eux leur certificat de mariage. Dans le cas contraire, la femme sera emmenée à l’hôpital, pour établir sa virginité. Si elle n’est pas vierge, elle sera jugée comme prostituée et condamnée à cent coups de fouet. C’est dans ce pays aux lois obscurantistes, que naît l’auteure. Son parcours est celui d’une intellectuelle éclairée qui exerce comme journaliste, avant d’être employée par l’ONU. Un soir, elle est raflée par la police dans un cabaret et se retrouve inculpée. Son crime ? Avoir porté un pantalon ! Le tarif pour cette tenue jugée indécente : quarante coups de fouet. Mais, au lieu de se soumettre et d’accepter son sort, comme les 43.000 autres femmes arrêtées et condamnées rien qu’en 2008, Lubna Ahmad Al-Hussein va se rebeller et transformer son procès en tribune internationale. Elle renonce à l’immunité que lui garantissait son emploi à l’ONU, en démissionnant. Convoquée au tribunal, elle y est accompagnée par les ambassadeurs des principaux pays occidentaux. La loi ne lui permet pas de s’exprimer devant ses juges, qu’à cela ne tienne : la presse mondiale lui ouvre ses colonnes. Elle évitera la bastonnade, mais écopera d’une amende. Refusant de la payer, elle sera incarcérée. Bientôt libérée par un pouvoir cherchant à faire cesser cette publicité malvenue, Lubna Ahmad Al-Hussein n’en a pas fini avec les invraisemblables démêlées avec la « justice » de son pays. Elle a décidé de continuer sa lutte contre « le poids de la tradition sous lequel ploie encore notre société » (p.206). Elle sait qu’à l’ordre ancien imprégné de coutumes rétrogrades succèdera un nouvel ordre qui s’imposera, non par la coercition, mais par les contraintes de la vie moderne. Et cette transition, elle entend bien y participer, au risque de sa liberté ou de sa vie. Chapeau bas, Madame, pour votre courage !
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°971 ■ 29/04/2010