Merah, mon frère, ce terroriste

MERAH Abdelghani (avec SIFAOUI Mohamed), Ed. Calmann-Levy, 2012, 239 p.

Comprendre les mécanismes menant au terrorisme nécessite d’avoir recours à la psychologie, à la sociologie en général et celle des religions en particulier, à l’ethnologie, à la géopolitique et à bien d’autres disciplines encore des sciences humaines. Mais, il est un autre registre tout aussi précieux, pour analyser les tenants et aboutissants de ces extrémismes : celui du témoignage direct livré par des « repentis », ou des proches des individus qui sont tombés dans le fondamentalisme. C’est ce que nous propose ici Abdelgahni Mérah, le frère du tueur au scooter qui assassina, en 2012, sept victimes dont le seul tort était d’être militaires ou juifs. Comment Mohammed Merah est-il devenu, non pas ce héros ou ce combattant valeureux de l’islam comme certains l’affirment encore, mais selon les propres propos de son frère, un intégriste borné, un terroriste fanatique et un meurtrier froid et sans aucune pitié ? C’est à une véritable anamnèse que se livre cet ouvrage, privilégiant le cheminement personnel et familial de ce criminel à la description du terrifiant aboutissement de sa dérive meurtrière. Il ne s’agit pas de lui trouver une quelconque excuse, mais de tenter de décoder ses agissements innommables autant qu’abjects. « J’enrage contre Mohamed Merah, mais j’enrage surtout contre ceux qui ont endoctriné mon frère, qui l’ont encouragé à passer à l’acte sinon par leurs paroles, au moins par leur silence » (p. 10). Contre ces imams autoproclamés diffusant des théories barbares et mortifères. Mais, tout autant, contre ses parents qui, en lieu et place de valeurs humanistes, ont nourri leurs enfants de haine, de violence et de délires racistes, notamment antisémites. Le hobby de son père ? Trouver des femmes, leur faire des enfants avant de les abandonner. Ses méthodes éducatives ? Féliciter ses enfants quand ils volaient, sans se faire prendre et les fustiger quand ils étaient pris. La nature de ses relations avec eux ? Les élever dans la violence et les frapper, au moindre prétexte. Quant à sa mère, elle est décrite comme une femme lâche, dépassée et surtout préoccupée de protéger ses fils, y compris dans leurs actes délinquants. L’intolérance de ses deux parents a été dictée non par une religion ou une idéologie extrémiste, mais par une totale inculture et une profonde ignorance, affirme-t-il, avec une lucidité autorisée par un vécu terrifiant. Lui et sa sœur Aïcha ont réussi à échapper au ghetto intégriste, grâce à une trajectoire personnelle ayant favorisé des rencontres signifiantes, quand son autre sœur Souad et son frère Kader resteront prisonniers de l’idéologie salafiste, Mohammed poussant le fanatisme jusqu’à l’extrême. Aucune haine, ni règlement de compte dans ce récit, juste une envie de crier une vérité trop longtemps tue et contenue et le profond désir de se libérer de la honte d’un nom que l’auteur continue à porter.

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1167 ■ 09/07/2015