Le spectre de la radicalisation

PUAUD David, Ed. EHESP, 2018, 243 p.

Les épisodes terroristes sanglants récents ont remodelé la perception d’une radicalisation devenue pour les pouvoirs publics la cible principale à prioriser. Des grilles d’évaluation ont même été élaborées pour mieux la détecter et la combattre. Et le jeune islamiste radical est devenu la nouvelle figure diabolisée.

Pourtant, beaucoup le reconnaissent : la radicalisation ne peut être confondue avec le terrorisme. Il est impossible d’établir un profil type de l’activiste prisonnier d’un mécanisme qui se situe à la croisée des sphères privée, subjective, territoriale, sociale, politique et religieuse. Certes, bien des constantes de parcours montrent le rôle d’une trop grande fragilité et d’une hypersensibilité associées à la difficulté à faire face à une réalité complexe. On peut tout autant trouver dans l’humiliation ou la rage, la victimisation ou une identité blessée mais aussi dans les espoirs déçus, les frustrations et les pertes de confiance autant de facteurs susceptibles de faire le lit d’une radicalisation potentielle. On concevra que cela fait beaucoup de monde qui vient saturer les listes de suspects.

La radicalisation n’est-elle pas avant tout un support à l’expression d’une détresse, offrant la possibilité de chasser le doute et l’incertitude de l’avenir en prenant totalement en charge la capacité à penser, à décider et à vivre ? Et plutôt que de se focaliser sur une poignée isolée de personnes à la dérive, mieux vaudrait combattre la désaffiliation sociale progressive de centaines de milliers de jeunes qui sont aujourd’hui en rupture avec une société dans l’incapacité de les insérer. On en est loin. La seule solution trouvée préconise la création d’un continuum entre le secteur socio-éducatif et le répressif : on aimerait bien organiser la prévention du terrorisme autour de la collaboration entre le travail social des services de sécurité. Comme en Belgique où une loi de 2017 contraint les travailleurs sociaux à renseigner le parquet sur des situations potentiellement à risque, la pression sécuritaire se fait de plus en plus forte dans l’hexagone, pour que les professionnels de terrain détectent, contrôlent et dénoncent. Mais l’imprévisibilité des attentats attise les peurs qui à leur tour alimentent les demandes de contrôles, d’anticipation et de prédiction. La quête d’immunisation sociale entraine un désir d’ordre et de surveillance attentatoires aux libertés fondamentales.

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1269 ■ 17/03/2020