La terre plate. Généalogie d’une idée fausse

GIACOMOTTO-CHARRA Violaine et NONY Sylvie, Éd. Folio-Histoire, 2023, 309 p.

Alors qu’on lutte, à raison, contre les infox qui se répandent dans l’opinion humaine, il en est une qui a traversé l’histoire. Le Moyen-Age aurait été à ce point obscurantiste qu’il aurait cru, jusqu’à la rupture intervenant au moment de la modernité, que notre planète était plate.

Ce que démontrent nos auteurs, avec force référencement, c’est que la conviction de la sphérité de la terre remonte au moins à 2 500 ans avant le temps présent. Platon (V-IVème siècle avant JC), Aristote (IVème siècle avant JC) en parlent comme d’une banalité. Le mathématicien grec Ératosthène évalue même sa périphérie à 40 000 kilomètres en utilisant la courbure de la terre (IIIème siècle avant JC). Si quelques esprits continuent alors à douter, ils sont une poignée. Les marins connaissaient depuis longtemps la courbe que fait l’océan faisant disparaître les voiles à l’horizon et les astronomes vérifiaient la forme de la terre à chaque éclipse. 

Pourquoi alors, la légende d’une telle ignorance prétendue de l’époque qui succède ?

Le premier mythe tient à la soi-disant perte des savoirs de l’antiquité à la jonction avec le Moyen-Age. Rien ne permet de l’attester, les monastères et les universités continuant pendant mille ans à commenter les textes grecs que leur a transmis la civilisation romaine, bientôt relayée par la traduction arabe des classiques de l’antiquité. Il ne faut pas confondre le nouvel intérêt pour cette littérature dans le foisonnement intellectuel des XVème et XVIème siècle et une prétendue « redécouverte ». Il n’y a jamais eu rupture, mais continuité entre les deux époques. Et les manuels compilant les connaissances acquises ne font pas mystère de la rotondité de notre planète.

Le second mythe a été largement alimenté par les protestants, les positivistes et les scientistes, dans leur combat contre l’église romaine. L’accusation portée est récurrente : l’institution religieuse se serait toujours opposée aux systèmes cosmologiques distincts de la tradition biblique. Celle-ci étant des plus évanescentes, elle fut peu évoquée. Là encore, si l’on peut identifier quelques ecclésiastiques bornés et dogmatiques, on trouve bien d’autres clercs dotés d’une ouverture d’esprit et d’une grande curiosité. La croyance en une terre plate y est, en tout cas, des plus marginale.

Troisième mythe, celui de la condamnation de Galilée qui aurait été accusé de défendre l’idée d’une terre sphérique. Rien de plus faux, le procès qui lui fut fait concernant sa théorie de l’héliocentrisme qui fut effectivement farouchement combattue. L’idée d’une terre ronde était largement répandue dans l’église. Ou plus exactement, elle ne faisait pas débat !

Quatrième mythe, un Christophe Colomb devant convaincre lors de la conférence (aussi appelée concile) de Salamanque des théologiens scolastiques que son projet de voyage était réalisable, malgré l’affirmation des Écritures voulant que les cieux seraient étendus comme la toile d’un Tabernacle (toile de tente). Aucune trace crédible de ce débat n’existe en réalité, le récit qui en fut fait aux XIXème siècle relevant de la pure fiction littéraire.

Que le militantisme anticlérical ait voulu combattre une institution qui établit sa tyrannie durant plus de 1 500 ans et une chose, que l’on conçoive une progression linéaire du savoir inspiré par Auguste Conte allant de l’ignorance initiale aux connaissances scientifiques modernes en est une autre.