L’élève humilié. L’école, un espace de non-droit?
Pierre MERLE, puf, 2005, 214 p.
L’école ne pourra survivre indéfiniment à la dimension formelle que gardent tant l’égalité des chances qui ne débouche jamais sur une égalité effective, que la citoyenneté scolaire qui s’avère plus que défaillante : telle est la conviction de l’auteur, sociologue et enseignant en IUFM. Jusqu’aux années 1950, explique-t-il, l’école assignait à chacun une place et un avenir professionnel. Avec la mutation qui accoucha du collège unique, aucun élève ne peut plus s’émanciper d’une lutte de chacun contre tous, de l’hégémonie du classement et d’une course à la reconnaissance. Résultat, l’enfant est devenu le seul responsable de ses réussites et de ses échecs. La condition sociale s’est transformée en expérience individuelle. La dévalorisation scolaire étant vécue comme un rabaissement personnel autant que comme une hypothèque sur l’avenir, les sentiments d’injustice et de révolte se sont mis à croître, provoquant rejet et haine comme autant de revers aux espoirs déçus. Cette évolution a connu concomitamment un processus de montée du droit des personnes qui n’a pas épargné l’école. Mais, malgré les circulaires et instances représentatives qui se sont mises à fleurir, les droits des élèves restent présentés toujours aussi peu précisément. Les règlements intérieurs des établissements préfèrent insister sur leurs devoirs. Quant à ce que peuvent ou non faire les maîtres, parents et enfants sont tenus dans la plus parfaite ignorance. Pour beaucoup d’enseignants, la première préoccupation est d’assurer l’ordre de leur classe. Leur autorité se fonde sur la sanction arbitraire ou sa menace, utilisés comme le fait du prince. Il y aussi l’humiliation sensée être régulatrice et faire respecter la discipline mais qui provoque le plus souvent découragement, colère, voire même violence. Sans oublier la stigmatisation publique de l’incompétence scolaire liée à la difficulté à comprendre qu’on ne puisse pas comprendre. La destinée scolaire restant indissociable des jugements portés par les enseignants, les appréciations dévalorisantes ou les insultes provoquent des effets négatifs sur les performances scolaires. La conviction d’un non respect de ses droits participe aussi de la démobilisation. L’auteur de préconiser l’élaboration d’un code du travail scolaire qui clarifierait les pratiques incohérentes, comme la signature des règlements par les élèves (signe-t-on le code la route avant de prendre le volant ou le code pénal avant de devenir majeur ?) ou encore l’établissement d’un contrat (qui ne peut être passé qu’entre des parties libres de contracter, ce qui n’est pas le cas d’un mineur). Cette codification définirait les droits des élèves à partir des obligations des enseignants, unifierait les sanctions relevant aujourd’hui du simple ressort de chaque établissement et prévoirait une instance habilitée à trancher les conflits entre maître et élève tenus à des droits et obligations réciproques.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°783 ■ 02/02/2006