Entre les murs du collège
François BEGAUDEAU, éditions Verticales, 2006, 272 p.
On ne se représente pas toujours très bien le quotidien d’une classe de collège dans ce qu’il peut avoir tant de prometteur que d’affligeant. Le roman de François Bégaudeau a la profonde honnêteté de « montrer comment c’est, comment ça se passe, comment ça marche, comment ça ne marche pas ». Ce qui frappe au premier abord, c’est bien le profond décalage qui sépare les détenteurs du savoir, de leurs élèves. Bien sûr, il y a ces collégiens qui s’enflamment et s’énervent d’un seul coup, répondant avec insolence au prof. Tout comme ces défis qu’ils lancent pour vérifier la résistance et la solidité de l’adulte. Ou encore ces tentatives de déstabilisation pour tester son autorité. Rien que d’assez classique, finalement. Mais ce qui marque le plus dans le récit qui nous est fait ici, c’est l’inexorable ennui qui semble engluer la majorité des élèves. Vouloir transmettre des connaissances et se heurter à tant d’indifférence ne peut que décevoir et aigrir l’adulte animé de cette noble ambition. Certains craquent : « j’peux plus les voir, j’vais en assommer un c’est sûr, ils sont d’une bassesse, d’une mauvaise foi, toujours à chercher l’embrouille » explique un pion qui quittera très vite son poste. L’enseignant qui persiste est, quant à lui, tenté par un discours d’une violence incroyable. Le roman s’égrène au rythme des agressions verbales à l’égard des élèves : « c’est pas une insulte, c’est la vérité, si je dis que t’es une imbécile, c’est que t’es une imbécile, si je dis que t’es une idiote, c’est que t’es une idiote, si je dis que t’es bête, c’est parce que t’es bête » (p.46) « rire comme cela en public, c’est ce que j’appelle une attitude de pétasse » (p78) « elle est nulle ta vie. T’en n’as pas marre de ta vie de nul ? » (p.142) « ta vie c’est rien. Parce que c’est une pauvre vie » (p.249). Si le conseil de discipline intervient dès qu’un élève ose « traiter » un adulte, la démarche inverse est inexistante. Le respect est une exigence unilatérale. Tout comme ce vouvoiement exigé envers l’adulte qui, lui, tutoie les collégiens. Quand deux élèves vont se plaindre au CPE de l’attitude irrespectueuse de leur enseignant, celui-ci s’en prend à nouveau à eux. Réagissant à quelques erreurs de syntaxe des deux collégiens, il leur réplique : « commence par apprendre le français, si tu veux t’en prendre à moi » (p83) Quand le principal du collège assène dans un propos lénifiant « que tout le monde peut réussir ici, à condition de le vouloir » (p.266), on a tout décodé de la mentalité d’un corps enseignant qui ne comprend pas qu’on ne puisse pas comprendre son enseignement et qui, trop souvent, assimile leurs élèves à une bande de fumistes et de fainéants. Plus encore qu’un reportage, cette fiction nous permet de pénétrer au coeur d’un dispositif qui, malgré les fréquents moments de complicité mis en scène, démontre que tant qu’il ne se sera pas profondément remis en cause, il aura encore longtemps à se plaindre des violences qu’il subit.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°790 ■ 23/03/2006