Prof toi-même !
POIGNANT Serge, Acte Sud, 2008, 184 p.
D’un côté, il y a une équipe psychiatrique atypique qui a pris l’habitude de quitter ses blouses blanches et de sortir des murs de l’institution pour aller à la rencontre de la population dans les PMI, les bibliothèques pour enfants, les amicales de locataires, les associations de quartier. Cette externalisation n’est pas sans poser des débats internes sur les risques de médicalisation, sinon de psychologisation à outrance d’une société qui ne semble plus pouvoir régler le moindre de ses problèmes sans convoquer les psychiatres. De l’autre, on a une école qui ne va globalement pas si mal que cela, même si un certain nombre d’établissements fonctionne parfois comme au Far West : classes saccagées, profs vidés de leur substance qui cumulent les arrêts maladie et les demandes de mutation, guerre de rue ou de quartier transplantée dans les cours de récréation quand ce n’est pas dans la classe… Cela donne des enseignants pas tant dans la révolte que dans la souffrance et le désespoir d’être ainsi rejetés par ceux pour qui ils donnent tout. Voilà deux groupes de professionnels aux identités, aux logiques et aux pratiques différentes. C’est justement dans ces écarts que les échanges pourraient trouver toute leur richesse, s’ils avaient lieu. L’ouvrage de Serge Poignant fait justement le récit de cette rencontre qui se déroula pendant huit ans sur une dizaine de lycées, collèges et écoles primaires. Ce travail collectif fut proposé après la classe, sur le temps personnel des enseignants. S’inspirant des méthodes Balint, il s’agissait d’aider les profs pour qu’ils puisent mieux aider les élèves. Dans ces groupes, pas de hiérarchie, pas de moquerie, pas de jugement de valeur. Il ne s’agit pas de remédier aux innombrables maux de l’école. On y vient tout simplement pour y dire ce qu’on a sur le cœur : la parole y est libre. L’équipe de la psychiatrie se présente les mains vides, son seul outil étant le dialogue. Juste une parole d’expert pour éviter le risque du bavardage. Même si, « avec nos belles théories, nos grands discours à la noix, on est comme eux, impuissants. » (p.89) Il est arrivé parfois que cela bloque : parce que les rapports étaient trop compliqués entre enseignants pour que la nécessaire confiance s’instaure, parce qu’il n’y avait pas d’écoute réciproque, parce qu’il n’y avait pas de place pour l’émergence d’une parole, parce qu’il y avait eu mauvaise évaluation de la demande des profs, parce que les réponses apportées étaient mal comprises. D’autres fois, cela a fonctionné. Quand les participants, pourtant sans aucune formation initiale en psychologie, réussissaient à poser des questions d’une grande finesse et donnaient des réponses d’aussi grande qualité. Quand les propositions, les associations, les idées se mettaient à fourmiller. Autant de moments d’émotions et de pépites de bonheur justifiant cette expérience passionnante.
Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°882 ■ 24/04/2008