Journal d’un psychologue de l’école de la République
CAZENEUVE Michel, Ed. L’Harmattan, 2018, 236 p.
Que fait-on quand on a commencé comme instituteur, continué vingt ans comme directeur dans le social et le médico-social et que l’on veut réintégrer son corps d’origine ? On demande un poste de direction. Les équivalences de diplôme n’existant pas, la seule nomination qui vous est proposée c’est psychologue scolaire. Fort de son doctorat en psychologie l’auteur accepte. Il y perdra une fin de carrière comme cadre. Il y gagnera l’occasion d’investir son savoir faire auprès des plus fragiles. Cette fonction lui apparaît très vague : psychologue à l’école, dans l’école, de l’école, pour l’école... Elle s’apparente à un enseignant qui n’enseigne plus, mais qui pense et dit beaucoup ce qu’il faudrait faire ou aurait fallu faire, mais en ne faisant pas grand-chose. Michel Cazeneuve décide de s’approprier sa nouvelle tâche en s’appuyant sur le savoir-faire accumulé dans le social. Allant à l’encontre de la culture de l’Éducation nationale, il réussit à convaincre une cinquantaine d’enseignants d’adopter un fonctionnement collectif avec les mêmes outils et procédures pour tous. Il reçoit les parents à des horaires où ils sont disponibles : 18h00, 21h00, voire parfois 22h00. Il expurge le jargon institutionnel. Certes, « il n’est pas élève » (= il ne respecte pas les codes et comportements exigés par l’école). « Il n’entre pas dans les apprentissages » (= la porte est grande ouverte, mais il ne veut ou ne peut la franchir). Mais, comment se rendre disponible quand dans son quartier il y a le chômage, les trafics, la prostitution, les dettes, le racisme, l’exclusion, les maris ou pères violents ou partis, les père ou frère morts, les mères seules ? L’auteur ne peut ni faire réapparaître un père, ni fournir un ailleurs ou un travail. Alors, il organise des « groupes d’enfants » et des « rencontres parents ». L’école ne peut travailler avec des familles et des enfants tels qu’elle les voudrait mais tel qu’ils sont réellement. Ce qui complexifie les pratiques de signalement de mauvais traitement. Si l’on retient les critères en usage dans n’importe quelle école résidentielle, la quasi-totalité des élèves d’une école sensible seraient signalés. Malgré tous les dispositifs accumulés depuis des années pour compenser les inégalités scolaires, de puissants déterminismes socio-économique sont à l’oeuvre qui rendent cette école prisonnière de sa mission fondamentale : la reproduction sociale. Les enfants de pauvres continueront longtemps encore à faire de pauvres études. Sauf à s’ouvrir au rêve que formule l’auteur à la fin de son ouvrage dans un pur élan utopique.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1234 ■ 06/09/2018