Sillage au Maroc

Violences faites aux mineurs : un enfant peut-il mentir ?

Il est toujours plus confortable de s’enfermer dans des certitudes que de réagir avec prudence au cas par cas. C’est pourtant le meilleur moyen de se tromper.

Nous sommes dans le sud marocain, le 17 avril dernier. Francis se confie à son éducateur : il a été violé le matin même. Le guide qui les accompagne chaque jour depuis deux semaines pour des marches à travers le désert de l’anti-Atlas, l’a entraîné dans un garage, se faisant aider par son vieil oncle qui tenait l’adolescent pendant l’agression. L’éducateur téléphone aussitôt en France aux responsables de son association. Contact est pris avec le consulat à Agadir qui propose une prise en charge médicale rapide par un médecin connu de leur service. Le guide et le vieil homme mis en cause sont placés en garde à vue par la Gendarmerie  royale. Une confrontation a lieu : témoignage de l’adolescent contre dénégations des deux adultes. Le scénario est classique : parole des uns contre parole de l’autre. A peine débarqué à l’aéroport, Alain Berteloot, Directeur du Centre éducatif renforcé maritime Sillage, a juste deux heures pour s’entretenir avec son équipe : il est accompagné par la gendarmerie jusqu’aux portes du désert pour assister à une reconstitution sur place. Très vite, les déclarations de l’adolescent présentent des incohérences et des failles. Mis en difficulté, le jeune se précipite en larmes vers le Directeur et, dans une crise de tremblements, le supplie de le croire. Mais, celui-ci reste à l’écart, pour laisser travailler les militaires. Quelques instants après, Francis s’adresse aux gendarmes et leur demande ce qu’il risque s’il reconnaît n’avoir pas dit la vérité. Puis, presque aussitôt, il affirme avoir menti sur tout, dans le seul but de se faire rapatrier en France. Après s’être rétracté, Francis retrouve un comportement tout à fait normal, n’hésitant pas à demander au guide qu’il venait d’accuser de l’avoir violé, s’il n’avait pas une cigarette ! Les jeunes placés en CER ne sont pas des anges. Ils ont souvent derrière eux une longue habitude de délits, dans lesquels ils ont toujours su nier avoir eu la moindre responsabilité. La mise en scène, ils connaissent. Pour ce qui est de Francis, il a déjà essayé plusieurs fois de quitter le CER. En commençant par fuguer au bout d’une semaine : il expliquera son geste par la crainte des éducateurs, l’un d’entre eux l’ayant jeté à l’eau et ayant cassé le poignet d’un autre jeune. Rien de tel ne s’est jamais passé. Plus tard, dans la traversée en bateau, pour gagner les côtes marocaines, il se déboîtera une épaule en  simulant une chute. Constatant le scepticisme des adultes qui décident de ne pas se détourner alors qu’ils sont à 100 milles des côtes espagnoles, il la remettra en place tout seul. Enfin, à l’occasion d’une communication téléphonique passée à sa famille, il reviendra en larmes, expliquant avoir appris le décès de sa grand-mère. Vérification faite, la vieille dame était toujours en vie. Les éducateurs sont donc restés prudents, face à l’annonce du prétendu viol. Dans cet incident, tous les acteurs auront été exemplaires. L’équipe du CER tout d’abord qui s’est mobilisée, démontrant une réactivité tout à fait appropriée, établissant un contact immédiat avec les autorités compétentes (juge, procureur, DRPJJ) et préparant avec l’éducateur PJJ les modalités de retour du jeune. La Gendarmerie royale ensuite, qui a su diligenter une enquête perspicace et efficace. La justice marocaine encore qui a adopté une attitude d’apaisement et de modération, cherchant manifestement à ne pas nuire à l’action du CER. Le guide marocain et son oncle enfin qui, expliquant comprendre les difficultés de ces jeunes, ont renoncé à porter plainte et ont lancé une invitation à Sillage l’engageant à revenir ! Quant à Francis, rapatrié en avion, il sera admis, au lendemain de son arrivée en France, dans une Unité thérapeutique et psychiatrique de l’enfant et de l’adolescent. Son juge, « conscient de la gravité des faits imputés au mineur » est bien décidé à saisir le parquet « pour engager toute poursuite utile. » On ne peut toutefois s’empêcher d’imaginer que cette affaire aurait pu prendre une toute autre tournure. Il n’y a pas si longtemps, toute allégation d’agression sexuelle de la part d’un mineur était considérée comme vraie « par essence ». Car, bien entendu, « on ne ment jamais sur ce genre de choses » a-t-on pu prétendre. Cela signifie-t-il qu’il faudrait dorénavant adopter un certain scepticisme et revenir sur la bienveillance déployée depuis une vingtaine d’années à l’égard des enfants et des jeunes qui décident de révéler les agressions dont ils ont été victimes ? Bien sûr que non ! Il serait des plus contre-productif de revenir en arrière. Il faut rappeler qu’entre 1998 et 2005 l’ODAS a pu établir une augmentation de 5% du nombre de mineurs maltraités (19.000 à 20.000) et de plus de 20% de ceux en risque de l’être (64.000 à 77.000). On est donc très loin d’une situation qui s’améliore  progressivement. On peut toujours essayer de se rassurer en évoquant des progrès dans l’identification et le repérage des situations de mauvais traitements (ce qui aurait un effet mécanique sur leur comptabilité). Il ne faut pas baisser la garde et se remettre à négliger ou à banaliser cette problématique comme cela a trop longtemps été le cas. Mais, cette mobilisation ne doit pas se faire au détriment d’innocents accusés à tort. Oui, de prétendues victimes sont en fait responsables de fausses allégations. Tout comme des classements sans suite, faute de preuves, peuvent laisser impunies et non reconnues d’authentiques agressions. Il revient aux professionnels de montrer l’esprit critique nécessaire, tant pour accompagner l’enfant face à un proche qu’on n’imagine pas capable d’avoir fait cela que pour rester prudents face à des accusations dont on perçoit la fragilité.

 

Jacques Trémintin – Non paru  ■ mai 2007