Objectif familles - Trappes (78)
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dans Reportages en France
Ou comment se donner les moyens de l’insertion
Un suivi approfondi et intense des familles bénéficiaires du RMI : nombreux sont les travailleurs sociaux qui pensent que c’est là l’une des meilleures façons de procéder pour permettre aux usagers de sortir du dispositif, en réussissant à s’insérer. Et pourtant, chaque intervenant cumule un nombre bien trop important de suivis ne lui permettant pas de consacrer le temps nécessaire à chacun. A Trappes, le Conseil général finance depuis dix ans une association qui prend les moyens d’une prise en charge de qualité.
1989 : la mobilisation des assistantes sociales a atteint le département des Yvelines, comme bien d’autres. Ici, pas plus qu’ailleurs, le mouvement n’aura obtenu, au final, de résultats très concrets : juste l’expression d’une profession affirmant la difficulté des tâches qui lui sont fixées. Le Conseil général de ce département de la couronne parisienne n’aura toutefois pas été insensible aux revendications de ses travailleurs sociaux. Parmi les demandes présentées, ce besoin d’une prise en charge intensive de certaines des familles bénéficiaires du RMI, seule façon de vraiment réussir à les aider à sortir du dispositif. En 1990, le département accepte donc de financer une expérimentation tout à fait originale qui vient de fêter, l’an passé, son dixième anniversaire.
Une intervention sur la globalité
La souffrance essentielle qui tenaille les populations bénéficiaires du RMI qui sont les plus en difficulté, c’est bien ce sentiment d’inutilité et cette faille narcissique conséquence d’un chômage qui pousse les plus âgés à une complète démobilisation et les plus jeunes vers une économie parallèle qui, seule, leur permet de survivre. L’insertion professionnelle passe au préalable par l’intégration sociale qui dépend elle-même du rétablissement d’un minimum d’équilibre psycho-affectif au sein de la famille. C’est ce constat qui a poussé l’association « Objectif Familles » à proposer un accompagnement régulier, rapproché et intensif, en s’inscrivant dans quatre directions.
La première concerne le choix d’une prise en charge de l’ensemble des problèmes rencontrés par la famille, qu’ils soient d’ordre économique (budget, dette, ...) ou sociaux (logement, gestion administrative, ... ), médicaux, éducatifs ou professionnels mais aussi les difficultés de couple. L’objectif poursuivi est bien d’aborder la problématique de la famille dans sa globalité.
Seconde orientation, celle qui consiste à s’adresser non seulement à l’allocataire, mais à l’ensemble du réseau familial dans lequel il vit. On est là dans une logique systémique, mode d’intervention revendiquée et défendue par l’équipe, qui ne conçoit pas faire changer l’un des membres de la famille, si ses autres membres n’évoluent pas de concert.
Troisième axe, celui d’un seul et même interlocuteur qui assure l’ensemble des interventions nécessaires C’est le principe du guichet unique. Bien sûr, le travailleur social référent n’est pas omniscient, mais il sert d’intercesseur, de médiateur entre la famille et les différents partenaires (services du Conseil général, CCAS, Education Nationale, Justice, ANPE, Mission locale, hôpitaux, CPAM, société HLM ...) avec qui il travaille en étroite collaboration.
Dernière direction que l’on retiendra ici : l’accent qui est mis sur la dynamique interne du groupe qui doit être aidé à identifier ses propres potentialités et ainsi investir un authentique rôle d’acteur de son propre changement. Il ne s’agit pas de faire dire ou faire à la place des usagers, mais de les rendre suffisamment autonomes pour qu’ils puissent dire et faire par eux-mêmes : « nous guidons la famille vers les solutions adaptées qu’elle s’est choisi afin de sortir de l’assistanat ».
Les conditions d’une prise en charge de qualité
Tout ce travail est rendu possible du fait même que chaque travailleur social se trouve en charge de 14 familles, seulement. Cela lui permet de consacrer à chaque situation le temps nécessaire (au moins une fois par semaine, voire plusieurs fois dans les premiers mois). La qualité du travail se ressent dans les sentiments que les familles expriment tant au niveau de la proximité de l’intervenant que de l’intensité du soutien qu’il apporte, de la sécurité produite par l’action engagée que de son efficacité. Mais, une intervention aussi intensive n’est pas non plus sans poser question. Le béquillage proposé peut placer les usagers en situation de dépendance. Et puis, il y a cette intrusion dans la vie privée où rien n’échappe au professionnel qui agit à tous les niveaux du fonctionnement du groupe familial. D’où l’importance d’une démarche qui ne place pas le professionnel dans un tête à tête et qui limite l’action dans le temps (avec des étapes et une échéance précises).
Premier des outils utilisés : une supervision d’équipe organisée une fois tous les quinze jours en présence d’un psychiatre systémicien. Cette rencontre permet à chaque travailleur social de reprendre dans une logique collective son mode d’intervention, ses choix tactiques, sa perception du fonctionnement familial ainsi que sa propre place dans le réseau dans lequel il intervient.
Second outil, l’échéancier dans le temps. Le but de l’intervention est d’assurer l’autonomisation de la famille. L’intervenant doit donc travailler activement à se rendre inutile. Ce sont les assistantes sociales de secteur qui proposent à l’association les familles en difficulté susceptibles d’être prises en charge. Cela ne se fait donc pas dans une logique d’urgence, mais à la suite d’une préparation. La famille doit être volontaire. Les contacts des trois premiers mois débouchent sur la signature d’un contrat d’intervention qui précise les objectifs poursuivis. Le suivi est ensuite engagé pour une durée moyenne de deux années. A ce rythme, le renouvellement des prises en charge se fait au rythme d’une à deux familles nouvelles chaque mois. C’est donc entre 13 et 18 nouveaux bénéficiaires qui peuvent entrer chaque année dans le dispositif. C’est plus d’une centaine de familles qui a pu être ainsi aidée ainsi depuis 10 ans. Cette approche originale a plus particulièrement réussi auprès de celles qui possédaient un fort potentiel qui ne demandait qu’à être développé. Les situations de stagnation ont surtout concerné celles qui, lourdement touchées par le handicap ou des problèmes psychiatriques, avaient beaucoup de mal à se mobiliser. Des échecs ont été rencontrés avec les familles intégristes. Quant au gens du voyage, leur mobilité ne permettant pas une prise en charge régulière, ils n’ont pas été retenus dans le public d’ « Objectif familles ». Au total, cette action laisse un large sentiment de satisfaction tant aux professionnels qui s’y investissent, qu’au Conseil général qui la finance sans oublier les familles qui expriment leur satisfaction. « Objectif familles » continue donc aujourd’hui son travail qui, pour innovateur qu’il soit, n’en reste pas moins isolé dans le paysage social. A croire que ce qui marche et répond vraiment aux problèmes devrait rester isolé.
« Objectif Familles » : 2 square Léo Lagrange 78190 Trappes
Tél. : 01 30 16 08 00 Fax : 01 30 16 08 40
Objectif familles : mode d’emploi
L’équipe d’Objectif Familles est constituée d’une directrice et de cinq travailleurs sociaux, d’un psychiatre systémicien superviseur, d’une secrétaire de direction et d’un agent de service. L’association ayant opté pour une orientation systémique, le personnel reçoit une formation dans cette discipline. Actuellement un autre projet de formation est programmé concernant plus particulièrement l’approche interculturelle, afin de favoriser le travail auprès des populations africaines.
En 1999, 61 familles ont été prises en charge qui se répartissaient en 28 familles monoparentales, 19 personnes isolées et 14 familles bi-parentales. Le bilan d’activité proposé par l’association insiste beaucoup sur les difficultés de sortie du dispositif RMI directement liées à la situation de l’emploi. Autre problème important, celui de l’accompagnement dans les soins et la santé (avec nombre de démarches pour des reconnaissances Cotorep), mais aussi dans la préservation ou la recherche de logement (éviter les expulsions, maintenir dans les lieux, régler le paiement des loyers, ...). Les contacts avec le milieu scolaire ont aussi été fréquents, permettant, entre autre, de faire tomber les tensions et l’agressivité qui s’installent parfois entre le milieu enseignant et les familles. Autre domaine d’intervention : le budget et l’organisation administrative dont la gestion et la maîtrise ont souvent été abandonnées depuis bien longtemps : la reprise progressive de ces aspects par les familles permet de stabiliser les rapports avec les administrations, de rétablir les prestations et de retrouver un équilibre financier. Le travail d’Objectif Famille consiste aussi à organiser les vacances des enfants : montage financier pour les envoyer en colonie ou en centre aéré, appui sur la solidarité familiale pour organiser des séjours dans la famille élargie. L’objectif visé à chaque fois est bien de favoriser l’autonomie et la responsabilisation des usagers en évitant autant que possible d’avoir recours aux demandes d’aides financières.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°574 ■ 26/04/2001