Dur, dur, d’être Directeur
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dans Reportages en France
On connaissait le Pascal Vivet, coauteur avec Stanislas Tomkiewicz du célèbre « Aimez mal et châtiez bien », premier ouvrage à dénoncer en 1991 les maltraitances institutionnelles (à une époque où cela n’était pas encore de mode). On connaissait aussi le médiatique Pascal Vivet, militant infatigable de la protection de l’enfance, chargé de mission au Conseil général de Seine et Marne de 1995 à 1999, aujourd’hui vice-président national de l’association Enfance majuscule. On connaissait sans doute moins, le Pascal Vivet qui, en compagnie de quatre enfants, accompagna en 1990 Michel Rocard à New York, pour assister à la signature de la Convention internationale des droits de l’enfant. On connaissait le Pascal Vivet, éreinté dans la rubrique Lire de Lien Social pour son dernier livre « l’enfant proie » (cf n° ) et y répondant avec fair-play. Mais, ce qu’on n’avait encore jamais connu, c’était le Pascal Vivet, Directeur d’IME, coincé le 16 décembre dernier, dans son bureau par le Président de son association qui exige de lui sa démission écrite. Devant son refus, le ci-devant Président n’hésite pas un seul instant à convoquer un huissier : « j’ai du vider mes poches, ma voiture de fonction a été fouillée et confisquée. Je suis finalement sorti avec mes affaires dans deux sacs poubelles, mis à pied à titre conservatoire » explique-t-il. Mais, l’animal n’est pas prêt à se laisser faire ainsi. Il porte plainte pour harcèlement devant le procureur de la République qui a ouvert une enquête préliminaire. Il attaque aussi son employeur aux prud’hommes pour licenciement abusif. Il ne désespère pas, en outre, suite aux audits commandités par la DASS et l’Inspection générale des finances, de voir le Préfet nommer un administrateur pour remplacer un Président aussi irascible. C’est que celui-ci n’en est pas à son coup d’essai : six directeurs se sont ainsi succédés en cinq ans ! Il « a l’habitude de renvoyer les gens avec ce type de méthode sur des motifs qui s’avèrent ensuite infondés » confie Philippe Aubin délégué de la CFDT. Entré en janvier 2003 dans son nouveau poste, Pascal Vivet en sera sorti avec fracas au bout de trois ans. « Un peu court », constate-t-il avec humour, lui qui a l’habitude de rester environ cinq années en poste. Mais de cette escapade dans le secteur du handicap mental, il n’aura pas tout perdu, tirant une riche expérience de l’application de la réforme des lois de 1975. Ne s’appesantissant guère sur son sort, il embraye très vite sur les conditions de réalisation de la loi 2002-2 et plus particulièrement sur ses cafouillages. Il n’est pas question, prévient-il d’abord, de nier les apports essentiels en ce qui concerne notamment la nouvelle place donnée aux usagers et à leurs familles. Encensé à juste titre pour, ce texte se trouve de fait limité dans ses ambitions à sa portion congrue : il devra s’appliquer à moyens constants. La preuve en est la précaution prise par l’exécutif quant à l’ordre de publication de la quinzaine de décrets qu’il avait prévu d’écrire pour en préciser les modalités d’application. Le premier d’entre eux aura été celui du 22 octobre 2003, concernant les modalités de financement : « Bercy a posé les règles : on fixe d’abord l’enveloppe budgétaire. Les besoins qui pourraient se manifester en application de la loi devront se tenir dans ces limites. » Pascal Vivet est tout aussi critique pour certains pans de la loi du 11 février 2005. Certes, elle prévoit l’inscription de tout enfant porteur de handicap dans le système scolaire ordinaire. Encore, faudrait-il que l’Education nationale aie les enseignants pour renforcer les classes qui accueilleront ces enfants. La démographie décroissante des élèves a été mise à profit par ce ministère non pour redéployer des postes, mais pour en supprimer… Il est à craindre que ce droit reste, comme tant d’autre, au stade du simple effet d’annonce et déclaration de principe, sans que l’Etat ne se donne les moyens de ses proclamations. Le fossé qui sépare les intentions des réalisations ne se retrouve limite pas exclusivement à la question des moyens. Il est une disposition de la loi de 2002 qui ne nécessitait aucun investissement financier particulier, c’est bien le Conseil de la vie sociale, instance consultative destinée à échanger sur les conditions de fonctionnement de l’établissement ou du service, à laquelle sont associés les usagers. Le décret du 25 mars 2004 qui en précise les modalités donnait six mois pour sa mis en fonction. « On estime aujourd’hui qu’à peine 10% des établissements concernés se sont mis en conformité avec cette obligation » affirme Pascal Vivet. Il y a certainement là le symptôme des difficultés et résistances des professionnels à combler l’écart qui les sépare des usagers. Mais, il y a aussi dans ce constat la démonstration que « l’Etat ne met pas tout son poids dans la balance. Il suffirait de dire aux établissements que dans le rapport annuel qu’ils doivent rendre pour que soit reconduit leur prix de journée, il doit il y avoir obligatoirement le compte-rendu du fonctionnement du conseil de vie sociale » Pascal Vivet termine son propos, en expliquant que notre pays est confronté une fois de plus à ses vieux démons : proclamer des principes, édicter des lois, sans se donner les moyens de contrôler leur application. Constat que font beaucoup de responsables sur le terrain, au quotidien. Notre directeur déchu n’est pas homme à ressasser un passé aussi douloureux ou cruel soit-il. C’est résolument vers l’avenir qu’il se tourne, près à s’engager vers de nouvelles aventures.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°794 ■ 20/04/2006