Des femmes battues qui se battent (17)

Trop longtemps soumises à la violence subie, elles ont décidé de dénoncer publiquement la brutalité dont elles ont été victimes.
 
Apporter aide et soutien aux femmes victimes de violence conjugale : telle est l’une des missions confiées à Tremplin 17, association opérant dans tout le département de Charente Maritime. Dès son installation, en 2012, l’antenne située à Saint Jean d’Angély a tout de suite décidé de diversifier son action, en faisant aussi le choix de la prévention. Informer, sensibiliser, anticiper constituent des axes de travail essentiels permettant, grâce à une mobilisation en amont, d’éviter un certain nombre d’interventions en urgence. Trois initiatives préventives ont ainsi été menées, en direction des élus de la communauté de communes d’abord, des femmes victimes ensuite et des élèves du lycée Audouin Dubreuil, enfin.
 

Étayer les communes

 
Tremplin 17 était très attendu par les élus ruraux des six cantons ruraux et cent douze communes des Vals de Saintonge, isolés et notablement déstabilisés, quand ils étaient exposés à des situations de violence qui leur semblaient parfois inextricables. Une formation/information leur fut très vite proposée. Chaque commune pouvait y envoyer qui elle voulait : le maire ici, un conseiller là, un agent municipal ailleurs. Photo-langage, scénettes vidéo sur les violences psychologiques, étude de cas … l’utilisation de supports de médiation participatifs permirent bien mieux qu’une approche purement théorique, des échanges, la mutualisation des savoirs faire et le partage des émotions. Partir de ce qui était vécu sur le terrain, en le croisant avec l’expérience des professionnels permettait ainsi une co-construction favorisant l’esquisse de pistes d’action. Certains participants revinrent régulièrement à ces rencontres, quand d’autres ne s’y rendirent qu’une seule fois. D’autres encore bénéficièrent indirectement du réseau de solidarité ainsi créé, sans forcément n’avoir jamais assisté à ces réunions. Ces groupes de parole d’abord trimestriels, puis semestriels eurent rapidement des effets concrets : diminution des accueils en situation de crise et accroissement du nombre d’appels pour obtenir une aide, sans demande d’hébergement. Il apparut nécessaire de s’adresser aussi au public se manifestant en amont de l’urgence.
 

Le printemps des femmes

Le 25 novembre 2013, à l’occasion de la journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, cent quarante huit silhouettes blanches furent installées sur la place centrale de Saint Jean d’Angély, symbole des cent quarante huit femmes décédées sous les coups de leur conjoint, l’année précédente. Des extraits du livre « Je suis complètement battue » (1) furent lus : « cela nous a donné l’envie de préparer la journée de 2014, avec les personnes concernées par cette violence » explique Laëtitia Giraud, éducatrice spécialisée à Tremplin 17. « D’autant que plusieurs d’entre elles avaient clairement exprimé leur souhait de mettre en place un groupe de parole pour pouvoir se retrouver entre elles, échanger et se soutenir mutuellement » complète Joanna Groyer, assistante sociale. A partir de février 2014, les deux professionnelles vont animer, chaque mois, un groupe de treize personnes qui se donne le nom du « printemps des femmes » (en référence avec le « printemps arabe »). Dans un premier temps, les liens se tissent et la confiance réciproque s’établit : il faut un certain délai, pour que chacune ose parler d’elle. Puis, vient le moment du partage des témoignages et du choix des modalités pour les retransmettre. Ce sera l’écriture et la photo. Chacune apporte le texte qu’elle a rédigé chez elle. Les écrits sont mélangés et tirés au hasard pour une lecture à haute voix. Treize d’entre eux seront retenus par le groupe. Ils seront illustrés par des photos représentant des sculptures vivantes qui symbolisent le cheminement de la violence vécue.
 

Des élèves en action

Progressivement, l’exposition est montée : les textes sont remaniés, les photos retouchées, une graphiste contactée, un imprimeur rencontré. Impressionné par la lecture publique du 25 novembre 2013, le groupe a retenu l’idée de reproduire ce moment fort. Mais, l’émotion serait trop vive, si ces femmes devaient lire leurs témoignages, en public. C’est le club théâtre du lycée Audouin Dubreuil qui va s’en charger. Une solide collaboration s’est instaurée, depuis quelques années déjà, avec Tremplin 17 : animation d’un théâtre forum, présentation du film « Ne dis rien » (2), production par les élèves du court métrage « Tremplin contre la violence faites aux femmes » dans le cadre du concours « Buzzons contre le sexisme » (3). Les textes sont donc transmis aux huit élèves de l’atelier théâtre, pour que chacun sélectionne celui qu’il voudra interpréter et qu’il s’en imprègne. Quand les auteures et les interprètes se rencontrent pour la première fois, l’émotion est palpable. Les premières incitent les seconds à accentuer leur jeu dramatique, dans les scènes de violence. Les jeunes acteurs, très impressionnés, les abordaient initialement avec beaucoup trop de retenue, parfois. Les seconds obtiennent des premières d’amender quelques phrases, pour être plus à l’aise. Mais l’échange ne fut pas que technique, certains jeunes n’hésitant pas à partager ce qu’ils vivaient eux-mêmes dans leur famille.
 

Place à la représentation

L’exposition est prête, les dernières répétitions ont eu lieu. Après tant de préparation, le moment était venu de se produire en public. Le 25 novembre 2014, une première présentation des panneaux a lieu toute la journée, dans une salle municipale. Partenaires, média locaux et institutions se succèdent. Un débat a lieu en fin d’après-midi. Les 26, 28, 29 novembre et 2 décembre suivants, l’exposition est montée au milieu des étals de fruits et légumes, en plein marché hebdomadaire de quatre chefs lieu de canton. Des plaquettes expliquant les violences conjugales sont distribuées. Et l’atelier théâtre du lycée se lance dans des scènes d’improvisation dans les commerces voisins. Deux cent cinquante personnes participeront à ces manifestations. Zoë Bouchard et Elodie R., élèves du lycée, rapportent la force de ce qu’elles ont vécu. Zoë se souviendra longtemps des larmes de ses amis, lors de la représentation proposée aux élèves de l’établissement : « ils étaient touchés, ça prenait vraiment aux tripes ». Delphine Cuny, enseignante et co-animatrice de l’atelier confirme cette intensité : « cette expérience fut très forte tant d’un point de vue théâtral qu’humain. On ne travaille pas si souvent sur du réel avec un impact émotionnel si fort. Cela a eu aussi pour effet de libérer la parole tant au sein de l’atelier, qu’à l’extérieur, notamment auprès d’élèves vivant ces situations dans leur familles »
 

L’après

Il revient à Laëtitia Giraud et Joanna Groyer de conclure sur cette action qu’elles ont menée avec le printemps des femmes : « Nous avons expérimenté une manière de travailler à la fois attirante par sa prise de risque et inédite. A l’intérieur du groupe de parole, une autre approche s’est tissée entre professionnelles et accueillies. Nous avons éprouvé ensemble une éthique relationnelle assez différente de ce que nous avions vécu jusqu’à présent. Impliquées dans la préparation, nous étions toutes des femmes « en je » et en « jeu ».Si nous avons apporté des compléments d’information et soutenu les participantes à se dire, ce sont elles qui nous ont guidé vers leur propre émotion, chacune devenant co-thérapeute de l’autre. » Le groupe s’est depuis réuni à plusieurs reprises. Son objectif est de produire un book, reproduisant les textes et photos de l’exposition ainsi que le cheminement de leur action. Leur souhait le plus fort ? Que ce qu’elles ont réalisé puisse servir à d’autres pour continuer la lutte contre la violence faite aux femmes.
 
 
(1) « Je suis complètement battue » Eléonore Mercier, Ed. Pôl, 2010, 112 p.
(2) « Ne dis rien » Film espagnol d’Iciar Bollain, 2004
(3) http://teledebout.org
 
 
 
Une libération
Vanessa Castel, participante au groupe de parole, évoque avec émotion ce moment magique. «  J’ai rejoint le « printemps des femmes » au mois d’avril, après que Laëtitia (Giraud) me l’aie proposé. J’ai attendu d’être prête pour écrire ce que j’avais vécu. Le groupe était très respectueux du rythme de chacune. Cela a été une révélation pour moi d’entendre les autres femmes s’exprimer : je n’étais plus seule à avoir vécu cette violence, j’allais enfin être crue. Je me suis sentie libérée de pouvoir parler de cet homme qui m’avait fait tant de mal. Lors des séances, j’étais accompagnée par mes enfants. Ils ont voulu participer à la conception des photos. Ils sont présents sur l’une d’entre elles, recroquevillés dans une cage à animaux, ce qui représentent bien le sentiment d’enfermement face à la violence dont ils ont été témoin. »  
 
 
 
Quand travailleurs sociaux et gendarmerie collaborent
Le travail de prévention implique un large partenariat, comme l’explique la Lieutenante Clémentine Bord, commandant la communauté de brigades de gendarmerie de Saint Jean d’Angély « Au cours des années, nous avons établi une étroite collaboration avec l’association Tremplin 17. Il n’y a aucune confusion. Nous agissons en complémentarité, mais chacun restant à sa place. Nous ne donnons par exemple jamais d’information sur l’enquête judiciaire. Quand une patrouille est appelée à intervenir dans une situation de violence conjugale, il arrive que le couple nie, évoquant une simple dispute. Il est difficile, en l’absence de plainte, d’investiguer plus avant. Nous donnons les coordonnées de l’association aux femmes que nous soupçonnons d’être victimes de violence. Nous accompagnons aussi les travailleurs sociaux pour sécuriser leur intervention, quand il faut aller récupérer des affaires, alors que l’agresseur est encore au domicile. A l’inverse, ce sont les travailleurs sociaux qui préparent et accompagnent le dépôt de plainte. Il est difficile pour une femme battue de se retrouver au milieu de plaignants venant l’un déclarer un vol de scooter, l’autre la perte de son chien, le troisième venant informer de son départ en vacances. Quand un rendez-vous est pris en amont, la victime est attendue. Dès qu’elle arrive, elle est prise en charge » 
 
 
 
Tremplin 17
L’association Tremplin 17 est bien connue en Charente Maritime pour son action autour de la lutte contre l’exclusion et l’addiction. Créée prés de Royan, en 1982, le Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale des Combôts installé en bord de mer, sous les pins, se structure alors autour du vivre ensemble articulant le soin et la réinsertion des adultes en situation de toxicomanie. En 1992, le projet éducatif va progressivement s’orienter vers le réinvestissement du milieu urbain et surtout l’élargissement du public pris en charge. Les activités de l’association s’organisent en deux pôles. A côté du pôle médico-social initial, se sont développées sur la Saintonge Romane et le Pays Royannais quinze services du pôle social consacrés à l’accueil, l’hébergement de courte ou de moyenne durée et l’accompagnement individualisé de personnes sans solution de logement. Le Pays des Vals de Saintonge situé au nord est du département autour de Saint Jean d’Angély restait dépourvu. Quand les autorités publiques, confrontées à des besoins en attente de réponse sollicitent Tremplin 17, l’association ouvre une antenne en 2012. Quatre services ont été créés. L’accueil en logement temporaire, tout d’abord, proposé à des familles en capacité financière, mais qui sont temporairement sans domicile. Un Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale offrant un hébergement à un public en situation de rupture et sans solution de logement. Une halte de nuit permettant un logement en urgence. Un accueil de jour doté d’une douche, de toilettes et la possibilité d’un accès à internet et au téléphone. Enfin, un Accueil d’urgence pour personnes victimes de violences.
 
 
 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1182 ■ 31/03/2016