Le DEAT: victime de son succès?

Quand un dispositif répond aux besoins trop importants qui émergent du terrain, il peut lui arriver qu’il soit lui-même mis en difficulté.

Comme un peu partout en France, le département de Haute Savoie était confronté aux mêmes difficultés d’un jeune public de plus en plus complexe, mettant à mal les dispositifs de prise en charge, qu’ils relèvent de la justice des mineurs, de la protection de l’enfance ou du médico-social. En janvier 2008, le Conseil départemental et la Maison départementales des personnes handicapées décident de créer conjointement deux postes à mi-temps occupés par un même médecin pouvant ainsi réaliser la jonction entre les deux administrations. Cette double nomination signe une volonté d’innovation : établir un pont entre deux secteurs voisins qui, sans forcément s’ignorer, avancent sur des chemins parallèles, sans toujours réussir à se rejoindre. La même année, un état des lieux est dressé : une enquête interne à l’Aide sociale à l’enfance, réalisée en partie avec l’aide du CREAI de Rhône Alpes permet de mesurer l’ampleur des besoins. Un groupe de réflexion se réunit en 2009 regroupant la DDASS (bientôt remplacée par l’Agence régionale de santé- ARS), l’Aide sociale à l’enfance (ASE), la MDPH, la pédopsychiatrie, la PMI, la santé scolaire et la PJJ. Il se donne pour objectif d’étudier de près certaines situations connues pour la plupart de tous les partenaires. L’inventaire permet d’identifier une centaine d’« incasables » dont 80 % relèvent de l’ASE. Ce travail pluridisciplinaire aboutit, en 2011, à l’élaboration d’un cahier des charges. Il s’agissait de créer un dispositif départemental s’adressant à des enfants et adolescents âgés de 10 à 17 ans relevant à la fois du handicap psychique et/ou des troubles du comportements et à la fois de la protection de l’enfance. Un appel à projet est lancé conjointement par l’ARS et le Conseil départemental. Chaque administration se propose de mettre à disposition du personnel de soins pour la première et éducatif pour la seconde. Deux types de services sont alors envisagés. Une équipe mobile d’abord qui se voit attribuer la mission de se déplacer auprès des équipes des lieux de prise en charge (scolarité, médico-social, foyers, familles d’accueil). Cette équipe est chargée de prendre en charge trente enfants. Un petit internat est créé, offrant douze places à temps plein et trois autres en accueil temporaire limité à 90 jours, ainsi que six places d’activité de jour. Une équipe pluridisciplinaire de la MDPH est chargée de procéder à l’étude des dossiers et de décider de l’admission. Le Dispositif d’accueil temporaire (DEAT) que va alors mettre en œuvre « L’œuvre des villages d’enfants » qui emporte l’appel d’offre s’ouvre en deux temps : l’équipe mobile en mai 2012 et l’internat en janvier 2014. L’expérimentation lancée pour cinq ans vient d’être reconduite. Le bilan de son fonctionnement est contrasté. « L’équipe mobile a mis un an avant de remplir le quota de places qui lui avait été fixé » explique le docteur Isabelle Bourgeaux, médecin directeur adjoint de la direction promotion santé à la PMI. Problème de communication d’abord, mais surtout de culture : « les professionnels des équipes de terrain n’ont pas perçu immédiatement l’intérêt de voir des collègues venir les renforcer ponctuellement, un éducateur sportif prendre en charge à l’extérieur des jeunes les plus en souffrance ou un psychiatre établir un bilan ». Aujourd’hui, l’équipe tourne à plein, une liste d’attente étant même constituée. Cette approche complémentaire est d’autant mieux intégrée qu’elle est de plus en plus sollicitée en amont, pour tenter d’éviter des situations de rupture. Pour ce qui est de l’internat, c’est beaucoup plus compliqué : « on a mis en difficulté l’équipe, en la contraignant à admettre des jeunes en bout de course, au parcours chaotique qu’on ne savait plus où placer et pour lesquels il fallait trouver un hébergement immédiat ». Le résultat ne s’est pas fait attendre : chambres mises à sac, personnels agressés … le turn-over est important au sein de l’équipe qui a du mal à se stabiliser face à un public très abîmé. On peut mesurer l’intensité des difficultés de ces jeunes, aux fréquentes décisions du secteur psychiatrique de les renvoyer, parce qu’il les considère ingérables, car trop violents, alors même qu’il les contient dans un cadre contraint. Le comité de suivi, qui se réunit deux fois par an, a bien conscience de l’impasse dans laquelle cet internat se trouve. Mais ses constats se heurtent à l’impuissance, quant aux solutions possibles. « Il fallait sans doute passer par cette expérimentation, pour pousser notre réflexion au-delà et tenter de chercher d’autres pistes venant répondre au blocage auquel nous sommes confrontés », constate Isabelle Bourgeaux. Tu ne peux pas viser le succès, si tu refuses de risquer d’échouer, dit le proverbe. Gageons que la créativité qui a présidé au DEAT lui permettra de rebondir.

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1217 ■ 16/11/2017