CAT et Collège - Châteaubriant (44)

Se comprendre pour mieux s’accepter

N’y a-t-il rien de plus improbable que la rencontre d’élèves de collège et de travailleurs handicapés ? La (re)connaissance mutuelle qui permet de se respecter : beaucoup en rêvent un CAT et un collège de Châteaubriant l’ont réalisé. Reportage.

Le choix, qui a été fait historiquement par notre pays, de spécialiser l’éducation donnée aux enfants porteurs de handicap a permis que se constitue un important secteur qui prend en charge ce public dans des établissements distincts de ceux qui accueillent le reste de la population. Les avantages de cette option, c’est entre autre la haute qualification du plateau technique  qui y est proposé. Du côté des inconvénients, c’est plutôt l’effet ghetto. Dans un tel système, l’enfant différent ne trouve véritablement sa place qu’à partir de sa différence. D’où un effet de stigmatisation, voire de rejet de la part des valides qui n’ont que très rarement l’occasion de côtoyer leurs congénères atteints de handicap ou de déficience. D’autres pays, comme l’Italie, ont choisi d’autres modalités, les professionnels spécialisés intervenant au sein même des écoles ordinaires ouvertes à tout public. Il serait vain de vouloir opposer une option à une autre dans une recherche utopique d’idéal, chaque solution présentant son comptant d’avantages et d’effets pervers. Mieux vaut essayer de répondre aux inconvénients que génère inévitablement chacune des modalités mises en œuvre.

L’action menée par le CAT de la Mée (1) et le collège Ville-aux-Roses (2) à Châteaubriant est une passionnante illustration du souci de protéger des adultes handicapés tout en ne les coupant pas du reste du monde, de trouver le juste équilibre à trouver entre le respect des difficultés qu’induit le handicap et la préservation d’une place d’être humain et de citoyen à part entière.

 

Une fructueuse collaboration

Tout commence par un incident qui oppose aux portes du collège, au cours du printemps 2002, un adulte handicapé du CAT et un groupe d’élèves de 6ème. Une certaine confusion entoure les circonstances exactes de l’évènement : provocation des uns, grande fragilité de l’autre ? Toujours est-il que l’adulte s’est mis à se déshabiller sous les quolibets des jeunes. Le principal du collège se met alors en contact avec le directeur du CAT qui intervient auprès de l’adulte exhibitionniste. Mais l’occasion est donnée d’aborder plus largement la question des rapports entre les travailleurs handicapés qui assurent divers travaux dans le quartier où se trouve le collège et les élèves pas toujours très sympas avec eux. « Dans le quartier de la Ville Rose, on se faisait traiter de tous les noms » explique Sébastien Fournier, travailleurs handicapé au CAT. « Quand j’empruntai le car, je me faisais traiter de gogol ou bousculer par des jeunes. Quand il y avait une place assise de libre, ils me la refusaient, car ils ne voulaient être à côté de moi » confirme sa collègue Marielle Guérinel. Sans compter les roues des vélos des adultes handicapés retrouvées crevées ou les baraques de chantiers, servant à stocker du matériel sur place, abîmées. A la rentrée 2002, l’équipe du CAT prend contact avec le collège. Pierre Saillant, principal adjoint tout fraîchement arrivé, se voit confier le dossier. Il reçoit dès le 8 octobre 2002 Véronique Badouart et Jean-Louis Crémet respectivement psychologue et éducateur spécialisé du CAT. De cette rencontre, va naître une collaboration des plus fructueuse. Chacun de son côté affiche ses objectifs qui vont au final se rejoindre : pour le CAT, permettre l’intégration des adultes handicapés au sein de leur environnement et pour le collège, mener à bien l’éducation des élèves à la différence. L’action qui s’engage alors dans les mois qui suivent va aller crescendo. Premier acte : aller découvrir l’univers de l’autre. Le 6 février 2003, les délégués des quatre classes de 3ème, accompagnés des professeurs principaux et de leur principal adjoint viennent rendre visite au CAT. Ils y sont accueillis par les travailleurs handicapés qui leur présentent leur établissement et ses différents ateliers. Echange de bons procédés, le 20 mars, c’est au tour des délégués de classe d’accueillir six adultes handicapés (un pour chaque atelier) et leurs encadrants. Leur servant de guide, il leur font visiter le collège et les font même entrer dans les classes où les enseignants leur expliquent ce qu’ils sont en train d’étudier. Elèves et travailleurs handicapés se retrouveront au self pour prendre le repas du midi. Ces visites marqueront fortement les esprits, chacun découvrant l’univers de l’autre jusque là totalement inconnu. Pour Patricia Fouillet, adulte handicapée, ce qui l’a le plus surpris c’est « la discipline des élèves qui se sont tous levés quand on est entré ». Aller dans un autre monde n’est pas chose toujours facile. Ce fut pourtant fait et bien fait. Deuxième acte : faire passer l’information au plus grand nombre. On ne pouvait se contenter de limiter cette connaissance mutuelle à une petite vingtaine de personnes. Il fallait entrer en relation avec la masse des élèves. Cela se déroula dans l’après-midi du 4 avril : ce sont les 112 élèves de 3ème répartis en trois groupes qui participèrent à cette rencontre. Ce qui leur fut proposé, tout d’abord, c’est une courte présentation du handicap, visant à chasser les idées reçues, comme la confusion entre handicap mentale et handicap physique. Sonia Blandin, adulte handicapée s’en étonne encore « ils pensaient qu’on était en fauteuil roulant ». Dans un deuxième temps, chacun des travailleurs handicapés commentèrent eux-mêmes un diaporama sur leur établissement et leur atelier respectif. Exercice guère facile que celui de prendre la parole devant 40 personnes : finalement, ils s’en sortirent brillamment. Enfin, vint un échange à bâton rompu, au cours duquel les collégiens se montrèrent très curieux de la façon dont les adultes handicapés pouvaient vivre : sont-ils payés ? Comment font-ils leurs courses ? Vivent-il encore chez leurs parents ? Une vraie émotion gagnera l’assemblée quand une adulte annoncera son projet de mariage ! La démonstration était faite  qu’être handicapé, c’est avant tout être humain et partager les mêmes joies et les mêmes soucis que tout un chacun. Mais l’action engagée ne s’arrêta pas en si bon chemin.

 

La cerise sur le gâteau

Le troisième acte se déroula sur le registre de l’émotion. L’atelier théâtre du CAT (3) viendra le 12 mai se produire devant les classes de 3ème. « Quand on s’est retrouvé face aux collégiens, on a eu un peu peur qu’ils nous chahutent ou qu’ils se moquent de nous » avoue Cédric Vrignaud. Mais, il n’en fut rien. C’est 130 jeunes spectateurs qui assistèrent à « Juke Box », spectacle d’art vivant proposé par la troupe des 8 acteurs du CAT. Les tableaux successifs alliant le chant, la danse ou le mime se taillèrent un franc succès. C’est peut-être l’acteur sourd-muet, déclamant son texte en langage des signes (traduit simultanément par un autre acteur) qui a le plus impressionné le jeune public, resté debout (cela se passait sous le préau) et captivé durant les 40 minutes de la représentation. L’échange qui s’en suivra, permettra de vérifier que handicapé ou valide, l’activité théâtrale possède des codes qui donnent la possibilité de communiquer par delà les différences. Juste retour des choses, la troupe du CAT se rendra au spectacle final de l’atelier théâtre du collège. A la rentrée 2003, chacun est ravi d’avoir mené à bien ces actions et se dit prêt à continuer. Déjà, les projets fusent. Tout d’abord, bien entendu reconduire la demi-journée de présentation du handicap et du CAT aux classes de 3ème. Mais aussi, mener à bien ce qui avait été envisagé l’an passé et que seul le manque de temps avait empêché d’accomplir : aménagement  de « pas japonais » ( dalles au milieu de la pelouse) dont la réalisation avait été confiée à Alain Georget, éducateur technique du CAT et embellissement des parterres de fleurs, ces travaux étant effectués conjointement par des travailleurs handicapés et des élèves volontaires. Mais aussi, création d’un atelier de théâtre commun aux travailleurs handicapés et aux élèves.

 

Comment pérenniser ?

Une telle expérience pour passionnante qu’elle soit n’est pas sans poser une multitude de questions. La première est sans doute de savoir pourquoi une rencontre qui devrait être banale et ordinaire est aussi rare à se produire : comment se fait-il que ces deux mondes se côtoient en s’ignorant superbement ? Les enseignants ont découvert le mode de fonctionnement du CAT au même titre que leurs élèves. Les travailleurs handicapés ne savaient rien de ce que pouvait être un collège et son mode de fonctionnement. Cela a été une vraie reconnaissance de part et d’autre. Mais pour un CAT et un collège qui ont franchi le pas, combien d’établissements qui continuent à exister sans se connaître ?  On peut trouver une première réponse possible dans les personnalités fortes qui ont su impulser cette initiative et surtout persévérer. Il n’est sans doute pas anodin que Pierre Saillant, le Principal adjoint du collège aie commencé sa carrière au sein de l’Education surveillée (première appellation de l’actuelle Protection judiciaire de la jeunesse) et aie passé 30 ans comme enseignant spécialisé en Institut de rééducation ! Tous les cadres de direction de l’Education nationale n’ont pas forcément la même fibre. Même si Véronique Badouart, la psychologue du CAT qui travaille aussi pour l’Education nationale, confirme une évolution de cette institution allant dans le sens d’une plus grande ouverture vers la société, ouverture qui laisse entrevoir la possibilité que ce type de contacts puisse se créer ailleurs... Autre explication possible, un terrain particulièrement fertile avec une équipe d’enseignants très dynamiques, prêts à s’investir. Bien sûr, nombre d’entre eux se sont déclarés d’emblée assez peu compétents pour gérer l’articulation entre leurs élèves et les adultes handicapés. La confrontation à l’autre, surtout quand celui-ci provoque plus ou moins consciemment inquiétude et angoisse n’est pas plus facile pour un enseignant que pour le citoyen lambda. Et puis, en tant qu’enseignant aspirant au meilleur pour ses élèves, le CAT peut constituer la pire des orientations souhaitables. Pour autant, ils le reconnaissent dans leur immense majorité, cette rencontre a été particulièrement enrichissante pour tous. Quant aux acteurs principaux que sont les élèves et les travailleurs handicapés, ils ont manifesté une capacité d’adaptation des plus encourageantes. Par crainte de réactions de rejet, le collège avait particulièrement bien préparé les adolescents à ce face à face avec un public différent. Du côté du CAT, on s’est demandé comment  les adultes handicapés allaient réagir, des attitudes désadaptés ou inhibées pouvant se manifester. Tant le groupe des élèves que celui des travailleurs handicapés a surpris les deux institutions par sa sérénité, son attention et le respect spontané pour l’autre. Belle leçon de tolérance et de citoyenneté !

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°680 ■ 02/10/2003

 

(1) CAT-Atelier de la Mée : 43 rue d’Ancenis 44110 Châteaubriant  02 40 28 09 51
(2) Collège Ville-aux-Roses : 8 avenue de l’égalité 44110 Châteaubriant  02 40 28 04 58
(3) Contact spectacle de la troupe du CAT-Atelier de la Mée  02 40 37 08 15 - E-mail :  contact@e-magineartvivant.com

     

Paroles d’acteurs

« Je suis convaincu de la nécessité de créer un vrai partenariat avec le CAT. Mais il nous reste un long chemin à parcourir avant de vraiment faire accepter la différence. Ainsi, quand je suis arrivé, il y a cinq ans, la Segpa n’était pas ouverte sur le collège. Elle ne partageait pas la même cour de récréation. Encore aujourd’hui, dès que quelque chose ne va pas, il est fréquent qu’on accuse les élèves de cette section. Cette hostilité se retrouve chez les élèves comme chez les adultes. »  Jean-Claude Martin, Principal du collège

« Quand je travaillais en institut de rééducation je me suis heurté au tout psy et au tout éducatif. Il a fallu me battre pour faire comprendre que le niveau scolaire, c’était aussi important. Depuis que je suis à l’Education nationale, je me heurte au tout enseignement. Je me bats pour faire passer la part d’éducatif qui fait aussi partie de notre fonction. Auparavant, je voulais externaliser l’internat. Aujourd’hui, je veux faire entrer le monde extérieur dans l’école. » Pierre Saillant, Principal adjoint

« Lors de mon intervention pour présenter le handicap, j’ai particulièrement insisté sur l’origine très diversifiée de cette déficience. J’ai notamment expliqué les causes liées à la carence affective ou aux paramètres socioculturels. Cela a vraiment étonné, beaucoup pensant à un contexte surtout génétique. Une enseignante est venue discuter avec moi, me demandant pourquoi, si ce n’était pas héréditaire, on n’arrivait pas à guérir ce handicap. Je lui ai répondu que cette problématique n’est pas si éloignée de l’échec scolaire que les enseignants n’arrivent pas eux non plus à régler » Véronique Badouart, psychologue au CAT-Atelier de la Mée 

« Les enseignants qui étaient présents lors de la visite au CAT ont été très surpris de notre mode de fonctionnement. Ils ont posé beaucoup de questions notamment sur les travaux de sous-traitance et sur la place qu’ils occupaient sur le marché du travail. On avait le sentiment qu’ils débarquaient sur une planète complètement inconnue. Lors de demi-journée de présentation aux 3ème, ils nous ont accueillis avec beaucoup de chaleur, nous invitant même dans la salle des profs à boire le café entre deux séances. » Jean-Louis Crémet éducateur spécialisé au CAT-Atelier de la Mée  

« Nous avons fait le choix de demander à Philippe Mirassou, acteur professionnel, d’animer notre atelier théâtre. C’est lui le metteur en scène de notre spectacle. Nous nous sommes déjà produits à plusieurs reprises à l’extérieur, notamment devant d’autres CAT. Mais face à un public de collégiens, nous avions vraiment le trac. Nous ne savions pas comment ils allaient réagir. Finalement, on aurait pu entendre une mouche voler, tellement ils étaient subjugués. Je crois qu’ils ont été impressionnés par le travail très professionnel qui leur a été proposé. Aujourd’hui, nous souhaitons présenter notre spectacle en ne nous limitant pas au public handicapé. » Colette Chatelier, éducateur spécialisé au CAT-Atelier de la Mée, responsable de l’atelier théâtre. 

« Cette rencontre m’a permis de mieux comprendre ce que les travailleurs handicapés ressentent. Je suis révolté de la façon dont on les traite. J’ai l’impression qu’on les met au rebus. Je crois que la plupart des jeunes n’ont pas d’hostilité particulière, mais ignorent complètement comment vivent les personnes handicapées. » Nolwenn, déléguée élève en 3ème année 2002-2003

« Ce n’est pas normal qu’on ne nous respecte pas. Tout le monde peut devenir handicapé, après un accident par exemple. Depuis qu’on est allé au collège, on nous accepte mieux. Je crois que c’est parce qu’ils nous ont vus sur scène et qu’ils savent qu’on est capable aussi de faire quelque chose de bien » Marielle Guérinel travailleuse handicapée au CAT