L’expérience du DAUME - St Sébastien sur Loire (44)
Original, risqué et audacieux, le DAUME relève le défi des « incasables », en y répondant avec ingéniosité. Récit d’une action menée hors des sentiers battus.
C’est un foyer départemental de l’enfance, comme il en existe dans tous les départements, avec pour mission d’assurer l’accueil d’urgence, 24h sur 24 et 365 jours par an. En Loire Atlantique, cette institution qui a pris le nom de Centre Départemental de l’Enfance et de la Famille, a une capacité d’accueil de cent seize mineurs et jeunes majeurs. La durée de séjour est théoriquement de trois mois maximum, mais elle va souvent au-delà quand l’embolisation du dispositif de protection de l’enfance, comme plus ou moins partout en France, ne permet pas la fluidité des parcours vers les maisons d’enfants à caractère social ou les foyers d’adolescents. Mais, la structure est confrontée à une autre difficulté que celle d’un trop grand nombre de sollicitations. C’est celle de l’échec ou de la non exécution de certaines mesures judiciaires de placement, du fait de l’inadéquation de l’accueil en collectivité pour certains adolescents particulièrement rétifs à la vie de groupe et demandeurs d’une prise en charge souple, adaptée à leur problématique et très individualisée. Comment répondre à des situations de crise où le jeune se met en danger et met à mal le lieu d’accueil ? Le Conseil général, financeur du CDEF, avait donné son accord, depuis quelques années déjà, pour l’expérimentation d’hébergement en studio. Cette solution avait démontré toute sa pertinence, la souffrance d’un vécu en collectivité tout autant que l’hystérisation et la théâtralisation qu’il peut induire disparaissant, dès lors où le suivi est assuré en logement autonome. Fort de cette réussite, un projet est mûri et accepté en 2010. Expérimental jusqu’en 2013, son existence est aujourd’hui pérennisée.
Fonctionnement du DAUME
Il s’agissait de fermer une unité recevant huit jeunes âgés de sept à douze ans et de redéployer les moyens ainsi libérés non seulement vers une Équipe Mobile d’ Urgence, mais aussi vers un nouveau service de quinze places appelé « Dispositif d’Accueil d’Urgence Modulable Elargi », bientôt désigné sous son acronyme de DAUME. Cinq professionnels lui sont alors dédiés (dont un infirmier psychiatrique), un mi-temps de chef de service et un temps psychologue à 50 % Le public accueilli est composé de mineurs de 6 à 18 ans. Ce peut être un enfant ou un adolescent s’opposant à l’entrée pourtant décidée pour lui dans un établissement ou dans une démarche de retour à domicile particulièrement délicat. C’est un autre mineur s’enfermant chez lui et refusant toute scolarisation ou réfugié toutes les nuits derrière son ordinateur et dormant le jour. C’est un adolescent fuguant régulièrement de son foyer et allergique à toute idée de placement. C’est un jeune vivant dans la rue ou un autre n’adhérant, a priori, à aucun projet. Les profils peuvent être très divers, mais une constante les réunit : la mise en échec des interventions de type traditionnel. L’équipe du DAUME propose plusieurs formules d’hébergement, qui incluent aussi le domicile familial. Mais peuvent aussi être utilisés des studios, des foyers jeunes travailleurs, des gîtes ou des familles d’accueil. Un temps, le Conseil général refusa tout accueil en hôtel. L’utilisation de ces lieux pour loger les mineurs étrangers isolés arrivés récemment massivement dans le département a sans doute contribué à modifier les représentations. Aujourd’hui, le DAUME utilise des résidences hôtelières, dont les chambres comportent un coin cuisine.Des risques et du courage
Les réticences de l’autorité de tutelle à laisser des jeunes sans surveillance adulte est tout à fait compréhensible, tant les problèmes potentiels de sécurité liés aux risques de prostitution, de trafic de drogue ou de délinquance sont prégnants. De fait, les profils des jeunes accueillis ne sont guère rassurants. Ainsi, de cette jeune fille de 17 ans ayant mené la vie dure aux établissements l’ayant accueillie jusque là, arrivée au DAUME après une hospitalisation en pédiatrie et qui vivra trois mois à l’hôtel, errant la nuit en ville et revenant dormir jusqu’à 17h00, heure à laquelle sa référente lui remettait chaque jour dix euros pour se nourrir jusqu’au lendemain. Ainsi, de cet adolescent aux difficultés psychiatriques identifiées, ayant gravement détérioré l’un de ses précédents lieux d’accueil et qui logera jusqu’à sa majorité dans une chambre de foyer jeune travailleur, réussissant ainsi à s’apaiser, sans qu’aucune exigence ne lui soit posée en terme d’insertion professionnelle, objectif de toute façon bien éloigné de ses capacités. Ainsi, de cette jeune fille de 14 ans, enceinte et toxicomane, placée en studio où elle recevait son copain violent à son égard. Aussi effrayant que cela puisse paraître, il faut prendre conscience que ces jeunes seraient à la rue, s’ils n’étaient pas suivis dans ces conditions. Pourtant, chacun(e) a trouvé une solution grâce à l’accompagnement du DAUME. Il faut à la fois beaucoup de courage et de lucidité au financeur, au juge et à une équipe de professionnels, pour prendre en connaissance de cause de tels risques. Et la précaution d’associer systématiquement la famille n’est sans doute pas suffisante pour répondre à la question : en cas d’accident grave qui sera tenu responsable ?Bilan d’étape
Le DAUME a commencé à fonctionner en janvier 2011. A trois ans de distance, le constat est clair : comme on pouvait s’y attendre, la prise en charge des 192 mineurs qui se sont succédées concerne très peu les 6-13 ans et beaucoup les 14-18 ans. Les problématiques rencontrées relèvent massivement des troubles du lien, des carences familiales, des problèmes d’addiction, des troubles du comportement, des comportements à risque, de la déscolarisation et de l’errance. La délinquance ne constitue pas un facteur prédominant, sauf quand il s’agit pour le jeune de trouver les moyens de financer sa toxicomanie. Les difficultés psychiatriques existent mais ne sont pas non plus prégnantes. « Ce service ne se distingue pas des autres unités travaillant dans l’urgence, explique Véronique Journet chef de service. Il fonctionne dans les mêmes délais, avec les mêmes résultats, mais avec d’autres outils ». Et d’énumérer l’acceptation inconditionnelle de la problématique du mineur, son suivi intensif qui passe par la disponibilité et la réactivité des professionnels, l’individualisation de la réponse qui lui est apportée et l’ajustement de la réponse au plus prêt de ce qu’il vit. Le seul obstacle à l’engagement d’un travail serait le refus de la part du jeune de toute relation. Ce fut le cas pour un adolescent qui afficha d’emblée son opposition à tout accompagnement éducatif et l’engagement conscient dans une démarche délinquante. Autre limite atteinte par le DAUME : l’incarcération d’un adolescent, après un braquage.Décapant !
Christophe BOUDROT, éducateur spécialisé au DAUME en témoigne, les modalités de travail sont très différentes de celles vécues en internat : « la diversité des profils des jeunes, la multiplicité des démarches à réaliser et la nécessaire adaptation à chaque situation nécessitent une polyvalence dans les compétences mises en œuvre. ». Il faut accepter de ne pas savoir vers quoi on va, supporter les échecs, tolérer les absences de nouvelles, vivre avec ce qui va bien autant qu’avec ce qui va mal, les mises en danger, les tentatives de suicide. Bien sûr, il y a cette indispensable réflexion collective menée entre les professionnels, les psychologues et la chef de service, portée par un projet individuel balisé et validé, qui a valeur de « contenant » psychique et institutionnel tant pour les usagers que pour les intervenants. Pour autant, une grande part de créativité personnelle et de savoir faire individuel est nécessaire dans la relation à l’autre, chacun étant confronté à la fois à la rencontre singulière et à une progression portée par l’équipe. Une permanence systématique est assurée en semaine, le matin et l’après-midi. Un éducateur est d’astreinte, à tour de rôle les week-ends. Une large marge de manoeuvre est laissée à chaque intervenant pour construire sa relation avec les jeunes qu’il a en référence. Chacun dispose d’un volant d’heures qu’il peut utiliser en fonction des besoins. Quand certains choisissent de couper leur téléphone, en fin de service, d’autres assurent une disponibilité 24 heures sur 24, laissant la possibilité aux jeunes de les contacter à toute heure. Au 1er janvier 2014, le Conseil général de Loire Atlantique a décidé de porter le nombre de suivis du DAUME à vingt quatre. Chaque professionnel de l’équipe passe ainsi de trois à cinq références. La diversification des profils avec l’arrivée de mineurs isolés étrangers permettra sans doute une moindre pression. Reste que la réactivité et la disponibilité constituent la pierre angulaire d’un travail exigeant qui requière un vécu et une expérience professionnelle précieux pour résister au stress des prises en charge.Contact : CDEF 22 rue Robert Doisneau 44230 Saint Sébastien sur Loire - 02 40 80 26 00
Veronique.JOURNET@cdef.loire-atlantique.fr
Lire l’article : Bas seuil : protection de l’enfance
Lire le reportage : AJD - Susciter la demande - Caluire (69)
Lire le reportage : DAPE - Landerneau (29)
Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°1141 ■ 15/05/2014