À la rencontre des aînés
On ne mesurera jamais assez la richesse des liens intergénérationnels qui se tissent quand les anciens et les enfants se côtoient.
La place des plus âgés auprès de la jeune génération n’est, à proprement parler, pas une thématique nouvelle. L’anthropologue Sarah Blaffer Hrdy n’hésite pas à affirmer que ce qui fait -entre autres- le propre de l’humain par rapport aux autres espèces animales, c’est le rôle des alloparents dans le partage de l’éducation et des soins aux plus petits, au premier rang desquels les grands-mères (1). Aujourd’hui encore, 66 % des grands-parents gardent leurs petits-enfants, leur consacrant chaque semaine l’équivalent de 16,9 millions d'heures (2) ! Les anciens furent pendant longtemps consultés et respectés pour leur savoir, leur sagesse et leur expérience. Un tournant a été pris par notre société adolescentrique, obnubilée par un jeunisme qui voue un véritable culte aux performances juvéniles. L’accueil traditionnel des parents devenus âgés au sein des familles a laissé la place à leur admission en maison de retraite, puis en EHPAD (3). La passation des connaissances accumulées tout au long d’une vie est concurrencée par un savoir horizontal que favorise la révolution numérique. Pourtant, comme le dit si joliment Amadou Hampâté Bâ : « un vieillard qui meurt, c'est une bibliothèque qui brûle ». C’est bien pourquoi l’organisation de rencontres intergénérationnelles ne renoue pas seulement avec une tradition ancestrale, elle redonne aussi du sens à une éducation dont le cœur est bien la transmission de valeurs.
Aller l’un vers l’autre
Cela fait quelques années déjà que l’animatrice de la Résidence de La Joncière, située dans la commune de Boussay (44) et l’animatrice de l'accueil de loisirs référente du projet intergénérationnel (Famille rurale) proposent aux enfants et aux résidents, un moment de partage et d'échanges. L'activité organisée prend la forme de cartes confectionnées en commun à l’occasion d’Halloween ou de biscuits de noël, mais aussi, aux beaux jours de pique-niques grillades partagés. Un atelier de correspondance fonctionne avec deux autres EHPAD, les enfants envoyant des dessins et attendant avec impatience la réponse. « C’est un groupe d’une douzaine d’enfants âgés de 6 à12 ans qui viennent retrouver un groupe du même nombre de résident(e)s. C’est devenu un rendez-vous très attendu de part et d’autre. Mais cela reste très souple, chacun devant y trouver le plaisir de la rencontre » explique Alexandra, l’animatrice de la Résidence.
C’est bien le « faire-ensemble » qui est ici valorisé, les bienfaits attendus étant réciproques Du côté des jeunes enfants, l’inscription dans le temps se concrétise : leurs parents ont été un jour enfants et avaient, eux aussi, un papa et une maman ! Du côté des personnes âgées, les stimulations sociales et cognitives au contact de l’énergie que dégage un enfant permettent de les dynamiser, mais aussi de rompre l’isolement social et de lutter contre la solitude.
Apprendre l’un de l’autre
Mais, l’échange peut aussi jouer sur le registre de la mutualisation du savoir-faire et du savoir-être. A l’image de l’association Accueil et Loisirs (La Mézière, 35), porteuse d’une transmission croisée des plus originales. Les anciens décryptent les expressions langagières de leur temps pour les plus jeunes qui en font autant avec les leurs. Si les premiers apprennent aux seconds l’art de la calligraphie, les uns et les autres seront initiés par un intervenant à la technique du graff ! Ce sont les personnes âgées résidant dans les Maisons Helena (qui venaient juste d’être construites) qui ont contacté l’association. Depuis, une douzaine d’entre elles animent régulièrement des ateliers au centre de loisirs. La réciprocité dans la circulation du savoir a suppléé la tradition voulant que ce soit les plus anciens qui transmettent aux plus jeunes. Si un projet intergénérationnel ne peut se contenter de mettre en présence les uns et les autres et doit les mobiliser autour d’une action commune, il n’est pas nécessaire de mettre en concurrence la culture passée et contemporaine. Inutile de reproduire la dispute entre « les classiques et les modernes » du 19ème siècle ! Il est possible au contraire, comme le montre cette action, d’enclencher une dynamique d’interconnaissance venant enrichir ses participants, quel que soit leur âge, se déployant à la satisfaction des différentes générations qui s’ouvrent l’une à l’autre.
Sensibiliser ensemble
Mais, l’action intergénérationnelle peut aussi s’inscrire dans un mouvement d’ensemble. Chaque année, au mois d’octobre, se tient la « semaine bleue » destinée à valoriser la représentation de la vieillesse et le changement de regard sur les personnes âgées. Prendre une initiative locale et isolée constitue déjà une démarche riche en émotions et en plaisirs partagés. Mais se rallier à une démarche nationale donne une visibilité et renforce encore plus l’impact de l’action menée, favorisant la couverture médiatique de ce qui est proposé : « 365 jours pour agir, 7 jours pour le dire » dit le mot d’ordre de cette manifestation qui se renouvelle, avec succès, depuis 1952. « Ce rendez-vous annuel est l’occasion pour nous d’organiser un évènement à chaque fois différent, ce qui nous a permis de tisser un lien entre les petits de notre centre de loisirs et les résidentes de l’EHPAD des quatre fontaines. Pour la semaine 2023, nous avons programmé un spectacle de marionnettes que les enfants iront jouer devant les personnes âgées » explique Christine Martinez, coordinatrice Léo Lagrange Vercors à Saint Bonnet le mur (69). L’originalité de cette action montre la diversité qu’il est possible de mener : chants et danse traditionnelle, activités sensorielles et manuelles (peinture, dessin…), jeux de société, ateliers conte ou mime, gestuelle ou décoration, jardinage, cuisine d’antan, repas partagés, lecture, mais aussi apprentissage des nouvelles technologies, sorties au cours desquelles un enfant aide une personne âgée marchant en canne ou poussant son fauteuil roulant… Il n’y a que peu de limites à l’imaginaire pour concevoir des projets partagés.
Monter un projet
Trois principes président toutefois à l’organisation d’une activité intergénérationnelle. On peut les résumer en trois règles : progressivité, adaptation et pérennisation. La progressivité implique de procéder par étape : un premier contact sous forme d’un goûter partagé permet aux participants de faire connaissance, de s’apprivoiser mutuellement, chacun(e) s’observant et s’ajustant à la présence de l’autre. Ensuite, il est essentiel de respecter le rythme de chacun. D’un côté comme de l’autre, certains sont très actifs et aiment bouger, quand d’autres préfèrent rester au calme. Une activité de motricité conviendra peut-être plus aux premiers, quand les seconds préfèreront un temps-lecture, par exemple. Enfin, il est judicieux que les liens qui se tissent perdurent, en favorisant autant que faire se peut les mêmes participants tant chez les enfants que chez les personnes âgées : c’est la pérennisation. Bien sûr, il existe certaines réserves qui doivent être prises en compte. Il faut tout d’abord choisir une animation qui soit réalisable par l’ensemble du public. Une attention particulière doit aussi être portée à prévenir le risque d’infantilisation des personnes âgées. Et puis, il faut tenir compte de la fatigabilité de ces dernières et des fréquentes difficultés de concentration des enfants (surtout chez les plus jeunes). Ce qui plaide pour une vigilance quant à la durée d’activité en commun. Ultime conseil : veiller au consentement des participants, afin d’éviter des moments de chahut ou des passivités qui peuvent perturber la qualité de la rencontre.
Prendre sa part
Alors que notre société semble traversée par un clivage entre ses différentes générations dans la manière que chacune a de se percevoir, la meilleure façon de faire tomber les stéréotypes et les préjugés reste encore la rencontre. Bien des actions sont menées qui vont dans ce sens. A l’image de cet EHPAD situé à Saint-Quentin (02) qui loue un studio à bas coût à un étudiant contre du temps passé auprès des résidents. Ou encore la résidence les Bleuets située à Moncoutant-sur-Sèvre (79) qui accueille en son sein la crèche Croc’Soleil. Mais aussi la colocation ou cohabitation intergénérationnelle, un sénior vivant en général seul proposant à des jeunes, des étudiants ou des apprentis, une chambre contre une présence ou un service, moyennant un loyer gratuit ou modéré. La Caisse nationale d’assurance vieillesse et ses partenaires ont par exemple développé une plateforme numérique qui met en relation des retraités, disposant d’une chambre libre, avec des jeunes Erasmus à la recherche d’un logement, chacun s’engageant à une bienveillance mutuelle et à des échanges à l’occasion de repas ou de sorties. (5) L’éducation populaire, dans son ambition de favoriser le lien social et l’émancipation des publics qu’elle côtoie, ne peut qu’encourager ces échanges propices à la transmission des valeurs et la diffusion des récits et des expériences de vie que peuvent proposer les plus anciens. Ils pourraient bien faire boule de neige dans les années à venir.
Jacques Trémintin
- « Comment nous sommes devenus humains. Les origines de l’empathie » Sarah BLAFFER HRDY, Ed. L’instant Présent, 2016
- Les grands-parents : un mode de garde régulier ou occasionnel pour deux tiers des jeunes enfants Études et résultats N° 1070 (2018) DREES
- EHPAD : Etablissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes qui accueille de plus en plus tardivement des séniors qui ne peuvent plus rester à domicile (86 ans en 2019)
- https://wesharewecare.eu/fr/
« La maman de la maman de ma maman »
Tout a commencé par l’initiative de Rozane Jade, animatrice à l’Ehpad des Jardins du Clos et deTy Marhic et Mariette Colleu, directrice du centre de loisirs de Douarnenez : des plus jeunes rendant visite aux séniors. Un atelier d’écriture commun est lancé qui élabore le scénario de l’histoire de « Mémé Lucette ». La vidéaste Liza Le Tonquer commence même à tourner un court métrage. Et puis, la pandémie annule le projet. Il reprend après le déconfinement. Véronique Favarel monte une chorégraphie sur d’anciennes mélodies. Filmés à nouveau, le groupe des enfants et celui des personnes âgées, unis dans la danse, se partagent l’écran. https://www.youtube.com/watch?v=ZC5N6a9RJtE
Jacques Trémintin - Journal de L’Animation ■ n°241 ■ septembre-octobre 2023