Protection de l’enfance et handicap: le rapprochement incontournable

Qu’elle vienne du défenseur des enfants ou du terrain, l’articulation entre l’enfance en danger et l’enfance en situation de handicap n’est plus une option ou un choix. Elle est devenue une exigence impérative. Il en va du bien-être de milliers d’enfants.

Pour expliquer les mutations auxquelles nous assistons depuis quelques années, Robert Lafore, professeur de droit public, propose une explication des plus féconde : pendant des années, ce qui a prévalu dans l’action sociale de notre pays, c’est la logique catégorielle. Les dispositifs en place avaient pour ambition de répondre aux besoins d’une population donnée : personnes avec handicap ou âgées, celles souffrant de toxicomanie ou à la rue, jeunes délinquants ou enfance en danger… La nouvelle logique à l’oeuvre remet en cause les cloisonnements entre institutions, les incitant à s’articuler. La culture professionnelle connaît ainsi un glissement progressif du modèle corporatif à une dynamique de coopération, de la mono intervention au partenariat ou à l’action en réseau, de la simple juxtaposition des différentes approches à une mise en cohérence des compétences réciproques. Pour autant, il y a loin de la coupe aux lèvres. A preuve, le rapport 2015 de Geneviève Avenard, défenseure des enfants, qui portait justement sur les carences de la collaboration entre les équipes accompagnant les mineurs en danger et celles ayant en charge des enfants avec handicap (1). Le constat y est lucide, le diagnostic implacable et l’état des lieux sans langue de bois. Retenons trois points, parmi tous ceux qui y sont développés. D’abord un chiffre : il y a près de 70.000 enfants doublement vulnérables, puisque confrontés à la fois à une déficience et à une situation de danger. Ensuite, un pourcentage : le taux de prévalence du handicap chez les enfants placés est sept fois supérieur au taux de prévalence habituellement constaté dans la population générale, avec une surreprésentation des troubles du comportement et des troubles psychiques sévères. Enfin, une constante : cette population juvénile est d’autant plus fragilisée et morcelée qu’elle se trouve à l’interface des politiques publiques, heurtant trop souvent au cloisonnement des institutions. Et d’énumérer toute une série de dysfonctionnements : quasi inexistante du partage d’informations et difficultés de coordination entre acteurs, méconnaissance du handicap pour les uns, de la problématique de protection pour les autres et absence de professionnels de santé dans l’évaluation pluridisciplinaire du danger lorsque survient une information préoccupante, approximation dans l’appréhension des missions et fausses représentations réciproques entre professionnels des deux champs, orientations tardives ou inadaptées et carences institutionnelles (manque de places en structures adaptées, pénurie en pédopsychiatrie, exclusion des établissements) etc … Le rapport de Geneviève Avenard se terminait par 33 propositions parmi lesquelles : la formalisation des coordinations entre acteurs, la garantie d’une continuité du parcours de l’enfant, la systématisation des liens ente l’ASE et la MDPH, le développement d’équipes mobiles en appui des structures, le développement des formations interinstitutionnelles, la mise en place de commissions d’évaluation pluridisciplinaires, etc … Pourtant, sur le terrain, des pratiques de collaboration sont menées avec succès depuis des années, démontrant à la fois la créativité des équipes professionnelles et le réalisme de tels projets. Elles ne sont pas nombreuses, mais elles existent ouvrant la voie à ce qui semblera un jour banal, mais qui peut être aujourd’hui considéré comme novateur, avant-gardiste et pilote. Lien Social propose un tour de France des dispositifs qui concrétisent au quotidien ce partenariat. Les Côtes d’Armor, d’abord, où SEPIA assure l’intervention d’une équipe mixte composé de travailleurs sociaux et de soignants. Les Pyrénées orientales, ensuite, où fonctionne depuis dix ans le Réseau ados 66 qui fait travailler, cote à cote, les 18 partenaires du territoire. Le DEAT de Haute Savoie, quant à lui, propose une équipe mobile se déplaçant auprès des équipes en difficulté et un petit internat à encadrement mixte. Nous terminerons par le département du Nord où la MDPH la plus importante de France s’est donnée les moyens de mener à bien la RAPT (Réponse Adaptée Pour Tous). Dernière étape de notre voyage, le point de vue du GEPSO, association d’établissements et services du secteur public à l’origine de l’une des premières journées d’étude sur la question. Que le lecteur, à travers ces reportages, alimente sa conviction quant aux vertus du partenariat et du réseau et pourquoi pas contribue à faire avancer, à son niveau, cette nécessaire collaboration, et ce dossier aura atteint ses objectifs.

 

 (1) « Handicap et protection de l’enfance : des droits pour les enfants invisibles » disponible sur le site https://www.defenseurdesdroits.fr 

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1217 ■ 16/11/2017