Qu’en sera-t-il demain ?

Voilà le texte de mon intervention lors de la « Conférence du confiné » diffusée le mercredi 29 avril 2020 et visible ICI

Qu’en sera-t-il demain ?

Avant de parler de l’après épidémie, il est important de rappeler l’avant.

Je vous propose de faire un bon en arrière de quarante ans et de nous remémorer ce qui s’est passé dans les années 1980.

A l’issue de la crise pétrolières et industrielles qui surgit à compter de 1974, les gouvernements des grandes puissances occidentales se convertissent, les uns après les autres, à une politique sociale et économique néolibérale. Ils s’inspirent de multiples écoles, dont celle dite des « Chicago’ Boys » des économistes chiliens à qui le général Pinochet, avait confié la réorganisation de l’économie du Chili, après s’être emparé du pouvoir par le coup d’Etat de 1973.

La première ministre du Royaume Uni Margaret Thatcher, le Président des USA Ronald Reagan, et même le premier Président socialiste de la République française François Mitterrand mènent alors une politique de libéralisation des mouvements des capitaux et des activités de financement ainsi que de déréglementation du secteur bancaire et des marchés financiers. Jacques Delors qui a impulsé cette politique comme ministre français de l’économie va la poursuivre et l’intensifier en tant que Président de la communauté européenne de 1985 à 1995 avec comme seule principe : une concurrence libre et non faussée.

Des masses gigantesques de capitaux, que l’on peut évaluer à des milliers de milliards de dollars, commencent à circuler à travers les cinq continents à la recherche des meilleurs placements. Pour les attirer, chaque gouvernement national rivalise pour réduire le plus possible les charges sociales, le coût du travail et les impôts, assouplissant le marché du travail pour le rendre le moins protecteur possible. Capter les plus riches devait permettre de relancer l’économie. Les attaques de nos gouvernements successifs contre le contrat social ont atteint leurs objectifs. Si l’on s’en tient aux chiffres d’OXFAM, entre 2008 et 2018, on est passé de 1 125 milliardaires sur la planète à 2 208 ! Parallèlement 3,4 milliards de personnes survivent encore dans le monde avec moins de 5 euros par jour ! En fait, 26 personnes possèdent autant de 50% des plus pauvres des habitants de notre monde. Bien-sûr, pour arriver à ce résultat, il a fallu faire des sacrifices et réduire les dépenses sociales, avec à la clé une dégradation régulière des services publics : un 115 saturé dans l’incapacité de fournir un hébergement d’urgence aux familles à la rue, des services de prévention spécialisés supprimés véritable variable d’ajustement de certains budgets départementaux, des services ASE qui n’ont plus de places d’accueil pour les mineurs en danger, des services de psychiatrie au fonctionnement largement détérioré contraints d’avoir des listes d’attente, la carence de lieux de refuge pour les femmes victimes de violence familiale, des EHPAD dotés de 24,5 soignants pour 100 lits, là où il en faudrait 60, etc …

Mais, ce qui est sans doute le plus symbolique dans cette lente dégradation, c’est un système hospitalier qui s’est vu imposer une gestion devant s’aligner sur celle des entreprises. La réforme HPST votée en 2009 et les suivantes ont instauré new managment public source des pires brutalités. L’efficience est devenue le cheval de Troie pour tenter de justifier la recherche de gisement d’économies à faire, la performance financière à trouver et la rationalisation gestionnaire à réaliser. On applaudit chaque soir le dévouement et le courage des soignants. Mais il ne faudrait pas oublier les brutales injonctions qui leur ont été faites : renoncer au respect, à l’empathie et à l’écoute sacrifiés sur l’hôtel du rendement et se transformer en une machine déshumanisée et sans émotion à la recherche du seul profit.

Rien d’étonnant qu’avec l’arrivée du Covid-19, l’hôpital se soit trouvé démuni. En vingt ans, c’est 100 000 lits qui ont été supprimés, ceux-là même qui ont cruellement fait défaut en début d’épidémie. Quant aux masques, l’organisation de leur suppression est aujourd’hui bien documentée. Par mesure d’économie, les 723 millions de modèles FFP2 dont notre pays disposait au début des années 2010, il n’y en avait plus aucuns dix ans après. Pour ce qui est du milliard de masques chirurgicaux en réserve, il n’en restait plus que 150 millions en début de cette année. Voilà de belles économies réalisées, dignes des excellents gestionnaires placés à la tête de notre système hospitalier !

Il est temps à présent de se poser la question : que va-t-il se passer quand l’épidémie aura pu être jugulée ? « On ne peut pas résoudre un problème avec le même mode de pensée que celui qui a généré le problème » affirmait Albert Einstein, en son temps. Est-il possible de faire confiance à ceux-là même qui ont précipité la catastrophe ?
Comment faire s’en remettre à ces dirigeants politiques qui ont voté depuis trente ans des réformes gestionnaires imposant des suppressions massives de personnel et de lits ?
Comment s’en remettre à ces Agences régionales de santé pourvoyeuses d’indicateurs de performance et d’outils comptables substituant les contrôles financiers à l’humanité du soin ?
Comment s’en remettre à certaines de ces directions à la tête des entités administratives ou des grandes associations formées au contrôle de gestion, au management financier et au marketing marchand ?
Ont-elles encore une quelconque intention à faire autre chose qu’à poursuivre leur sabotage ?

La meilleure preuve des doutes que l’on peut avoir peut être trouvée dans cette décision, prise le 9 avril par la direction de l’hôpital de Saint Girons, de réduire le traitement de ses 900 agents hospitaliers, la pause méridienne de 20 minutes étant désormais décomptée du paiement des huit heures travail quotidien. La crise sanitaire sévit, mais la réforme comptable continue !

La suite dépendra en grande partie de notre capacité de vigilance et de mobilisation tant professionnelle que citoyenne. Et là, c’est la grande inconnue. Après une telle épreuve, voudrons-nous fermer au plus vite la parenthèse et retrouver la vie d’avant ? Ou serons-nous nombreux à rallier ce mot d’ordre qui commence à fleurir sur les murs : « nous ne reviendrons pas à la normale, par ce que la normalité était le problème » ? Rappelons-nous qu’après le printemps de Mai 1968, qui souleva tant d’espoirs, les trois-quarts des députés élus en le mois suivant le furent sur la promesse du retour à l’ordre et à la sécurité !

L’avenir est entre nos mains. Pour autant, malgré les informations fournies au gouvernement par les services de renseignements, la montée des colères qui grondent ne préjugent ni d’un puissant mouvement social, ni d’un repli généralisé sur soi.

Jacques Trémintin - 28 avril 2020