Et si l’on parlait des trains qui arrivent à l’heure ?

dans Articles

Filmer les défaillances de l’Aide sociale à l’enfance est devenu un véritable marronnier médiatique. Décrire la situation d’enfants passant de familles d’accueil maltraitantes en foyers collectifs négligeants et peu sécurisants constitue un bon filon pour faire vibrer la fibre émotive du téléspectateur. Cela est utile et nécessaire pour dénoncer les dérives qui existent. Leur proportion est un faux débat : il n’en existerait que très peu que ce serait tout aussi insupportable.

Pour autant, la protection de l’enfance peut-elle se résumer à cela ? Un proverbe africain affirme que « l’arbre qui tombe fait plus de bruit que la forêt qui pousse ». A côté de ces situations d’enfants, d’adolescents et de jeunes adultes broyés par la violence institutionnelle, il y a le quotidien de dizaines de milliers d’autres qui grandissent à bas bruit dans des dispositifs qui fonctionnent aussi dans des conditions bienveillantes, chaleureuses et protectrices.

C’est ce que montre « Incas(s)ables », l’admirable documentaire de Ketty Rios Palma, qui s’était déjà fait connaître par le remarquable film « Itinéraires d’un enfant placé ». Pour sa nouvelle production, elle a fait le choix d’une prise directe sur la vie de cinq jeunes âgés de 10 à 18 ans, accueillis à Ivry-sur-Seine, dans une petite unité de l’association La Vie au grand air. Renonçant à l’interview ou aux commentaires en voix off, la caméra filme sur une année le quotidien de Kahina, Alex, Gabriel, Guillaume et Jérémie. Seuls quelques encarts écrits précisent juste ce qu’il faut savoir de leur parcours pour mieux les comprendre.

Le documentaire commence par le récit bravache d’Alex décrivant son conflit avec son collège dont il justifie d’avoir fugué et se termine par le repas d’adieu de Kaïna qui, retournant vivre chez sa mère, « évalue » sa relation affective avec chacun des garçons du groupe qu’elle va quitter, dans un langage que ne renieraient pas ses éducateurs ! Entre ses deux scènes inaugurale et finale, se déroulent de nombreux épisodes dont la violence n’est pas exclue. Mais, elle est sous-jacente et sous-tendue par ce hayon arrière défoncé d’une voiture ou ce récit de la violente crise survenue dans le bureau de la juge des enfants. Que de souffrance endurée qui se libère ainsi, malgré la patiente et l’attention des professionnels ! La maltraitance familiale, la déscolarisation, les troubles mentaux ou les retards développementaux sont omniprésents. Ils sont accompagnés, soignés, canalisés dans des modalités d’encadrement qui, refusant le « prêt-à-porter », privilégie le sur-mesure. Si la présentation non floutée de mineurs n’est pas sans interroger, on réalise dans le même temps combien les expressions de leurs visages sont essentielles pour entrer dans leurs émotions. Et si ce vécu que le spectateur partage est fait de conflits et de tensions, il est encore plus traversé par la solidarité, la fraternité et l’affection.

Ce documentaire exceptionnel atteint au moins trois objectifs. Présenter avec pudeur et émotion tout un pan de la protection de l’enfance qui sort rarement de l’invisibilité et de l’anonymat ; rétablir la pleine humanité de ces enfants aux comportements extrêmes ; mettre en perspective les valeurs éthiques qui sont au fondement de la profession d’éducateur spécialisé.


Voilà un documentaire à ne surtout pas rater.

À revoir jusqu’au 19 juin dans la série Infrarouge
Inacas(s)able – 2020 – (64’‘) réalisé par Ketty Rios Palma
https://www.france.tv/documentaires/societe/2431943-incas-s-ables.html