Des convictions face aux pièces à charge

Comment réagit un praticien de la protection de l’enfance, spectateur de la soirée de France 3 sur l’ASE, le 16 janvier 2018 ?

On ne peut passer à côtés de grossières erreurs. Comme affirmer que les familles d’accueil ne bénéficieraient d’aucune formation, alors que le Diplôme d’état d’assistant familial est devenu obligatoire …depuis 2006 ? Comme déplorer que l’on refuserait aux enfants placés la possibilité d’être adoptés par leur famille d’accueil, alors que l’adoption n’est possible qu’à condition que les détenteurs de l’autorité parentale en soient déchus ou qu’ils y renoncent ?

Puis, vient la surévaluation des dysfonctionnements. Le reportage présente tant un foyer qu’une famille d’accueil à la démarche exemplaire, avant de développer longuement des exemples d’autres pratiques totalement inacceptables. Dans quelle proportion les 177.000 enfants placés sont-ils victimes de telles dérives ? Aussi faible soit-elle, elle reste insupportable. Mais, attention à ce que ces comportements pénalement répréhensibles ne viennent pas salir le travail quotidien des dizaines de milliers de professionnels qui se dévouent pour tenter de réparer des dégâts parfois considérables subis par des enfants dont ils ne sont en aucun cas responsables.

On ne peut enfin noter l’effet pervers de ces généralisations qui sous-tendent la démonstration. Si certains magistrats n’écoutent peut-être pas l’avis de l’enfant, lorsqu’il décide d’un placement, beaucoup d’entre eux le reçoivent en début d’audience, seul, avant sa famille, les avocats et les travailleurs sociaux. Ils le font sortir ensuite de son cabinet afin qu’il ne soit pas mêlé aux échanges des adultes qui vont suivre.
Si dans certains départements, l’ASE jette à la rue les jeunes qu’elle suit depuis parfois depuis des années à leurs 18 ans, bien d’autres les accompagnent jusqu’à leurs 21 ans.
Si certaines familles d’accueil continuent scandaleusement à exercer leur mission, malgré leur condamnation pour maltraitance, celles qui dérapent se voient le plus souvent suspendues dès la première suspicion, avant même que l’enquête n’aboutisse et que la justice n’ait statué. Les situations présentées par ce reportage existent bel et bien. Et il est légitime de les dénoncer. Pour autant, « un arbre qui tombe fait plus de bruit que toute une forêt qui pousse » affirme le proverbe. Prêtons attention aux dysfonctionnements et agissons pour les réduire au maximum. Mais sachons aussi valoriser ce qui se déploie à bas bruit et qui remplit pleinement la mission de protection.

Quelques soient les critiques que l’on peut formuler, reconnaissons-le, la force de cette émission, c’est sa capacité à renvoyer aux réalités de terrain : pénurie de places dans les foyers contraignant au maintien des enfants dans des situations de grande souffrance, sous-dimensionnement des équipes d’internat ne permettant pas de gérer les difficultés faisant parfois exploser les groupes, familles d’accueil insuffisamment soutenues se sentant isolées et laissées démunies face aux manifestations de violence, hébergements en hôtel compensant le manque de structures adaptées, pléthore des 40 mesures suivis par chaque professionnel ne permettant pas de consacrer le temps nécessaire à chaque enfant, pathologies psychiatriques non prise en charge par un hôpital lui-même en surcharge, cohabitation des agresseurs et victimes par manque de solutions relais, pénurie d’intervenants qualifiés dans les établissements aux conditions les plus dégradées…

Les professionnels ne cessent d’alerter sur ces dérives et d’en dénoncer les effets délétères, les faisant remonter à leur hiérarchie ou aux autorités de tutelle. Mais leur voix pèse peu face au dogme de la réduction des dépenses sociales. Il faut faire toujours plus avec moins de moyens. Ils se sont engagés pour protéger l’enfant, mais ils se retrouvent, impuissants, à cautionner les maltraitances institutionnelles. Que reste-t-il à faire, quand rien ne change et qu’on a l’impression de crier dans le désert : pour les uns se battre pour défendre l’éthique de notre engagement, pour les autres démissionner avant d’être totalement épuisé ou enfin se résigner.

 

Paru sur le site de Lien Social