Le crime est-il évitable?

Régulièrement, les faits divers sont le prétexte de décisions prises sur le coup de l’émotion. Nouvelle illustration avec le drame de Chambon-sur-Lignon, occasion d’une surenchère de démagogie.

Un viol suivi d’un meurtre particulièrement horrible, et voilà la classe politique et médiatique qui s’emballe. Assurément, le destin de la jeune Anièce à Chambon-sur-Lignon est terrible. Le choc une fois passé, les questions se sont mises à fuser sur le ton maintenant récurrent de « ce crime était prévisible », « pourquoi n’a-t-on rien fait pour l’empêcher ? ». Et notre gouvernement de surfer sur l’émotion de l’opinion publique, pour proclamer des mesures se voulant garantes de toute nouvelle récidive, chez les mineurs. Y a-t-il un seul homme ou une seule femme politique qui aura le courage de rappeler publiquement que l’incertitude, la contingence et l’aléatoire font aussi partie de la destinée humaine et qu’aucune prévention ne pourra jamais prévoir avec certitude tous les comportements possibles d’un être humain ?

Le risque zéro

Pendant des millénaires, la forte mortalité infantile, les épidémies, les maladies, les accidents ont réduit l’espérance de vie à un seuil très bas : 26 ans en 1750 et seulement 59,9 ans en 1946. La survie de l’être humain était largement compromise, tout au long de son existence. La mort était intégrée, comme un facteur pouvant survenir, à tout moment. Aujourd’hui, et c’est là un formidable progrès, un homme peut espérer vivre jusqu’à 78 ans et une femme jusqu’à presque 85 ans. Le perfectionnement de la médecine nous a fait presque oublier que « la vie est une maladie mortelle sexuellement transmissible » (Woody Allen). Sitôt qu’un meurtre survient chez les plus jeunes, on convoque le ban et l’arrière ban des autorités, en exigeant qu’elles établissent des responsabilités. Il y a forcément quelqu’un qui doit payer, pour ce crime qui n’aurait jamais du se produire. Un peu comme si la relative sécurité sociale que nous avons gagnée de haute lutte devait nous protéger contre tout hasard ou tout aléa. Alors, que ce qui est extraordinaire, ce n’est pas tant qu’un crime, aussi horrible soit-il, puisse être commis, mais bien qu’il n’y en ait pas beaucoup plus. Dans notre pays, entre le XIIIème et le XXIème siècle, le nombre de meurtres est tombé de 100 à … moins de 1 pour 100.000 habitants. La civilisation des mœurs a progressivement fait régresser les comportements violents. Bien sûr, ceux qui subsistent sont toujours de trop et tout doit être fait pour réduire encore leur proportion. Mais, face à un meurtre comme celui d’Anièce, que vont donc nous proposer les chantres du tout sécuritaire ? Interdire à tous les garçons de 17 ans de flirter avec des filles de 13 ans (on ne sait jamais, le garçon pourrait avoir de mauvaises intentions) ? Supprimer, dans les internats scolaires, toute sortie à l’extérieur (en maintenant les élèves dans les locaux, au moins on pourra les empêcher de nuire) ? Ou, encore mieux, multiplier des caméras de surveillance dans toutes les pièces fréquentés par les élèves (comme cela, le moindre de leurs gestes pourra être épié) ?

Lutter contre la récidive

Notre gouvernement n’est pas allé jusque là. Quoique les mesures qu’il a annoncées ne soient guère plus intelligentes. Une nouvelle fois, il promet « une loi de programmation » ou des décrets pris à la hâte, sans réflexion, comme les six autres textes législatifs sensés combattre la récidive, et adoptés depuis 2004, sans que cela ne semble avoir été suffisamment efficace à ses yeux, puisqu’à chaque fait divers il rajoute une nouvelle couche. Il s’agirait d’abord, d’enfermer systématiquement des jeunes ayant commis des actes graves, en Centre éducatif fermé, et ce jusqu’à leur jugement Une telle mesure revient à considérer ces mineurs comme forcément et absolument dangereux, quels que soient les circonstances de leurs actes. Un tel automatisme est inquiétant, car il ne tient aucunement compte de la personnalité des jeunes. Il vaudrait mieux, pendant qu’on y est, les condamner tout de suite à une longue peine de prison. Car, s’ils sont susceptibles de récidiver, ce peut être à tout moment : autant avant leur jugement, qu’après ou à leur sortie. Deuxième proposition : renforcer l’expertise de dangerosité. Croire ou faire croire à l’efficacité de prétendues évaluations réalisées par des criminologues sur le degré de risque présenté par tel ou tel délinquant constitue un leurre ou une tromperie. Il est pathétique d’assister à la quête d’une presse en manque de sensation tentant de découvrir les indices qui auraient permis de détecter l’acte du meurtrier d’Anièce. « Il se droguait sans doute » … la belle affaire : ils sont très rares à le faire dans nos lycées ! « Il traitait les filles comme des objets » … c’est sûr, il était le seul petit mâle de son établissement scolaire à réagir ainsi. Finalement, rien que de très banal, comme sont banals cette décompensation psychiatrique, cette bouffée délirante ou cet enchaînement meurtrier qui amènent parfois des citoyens ordinaires et sans histoire devant les assises. Dernier lapin sorti du chapeau de notre gouvernement : le secret partagé. Il faudrait informer les directions des établissements des actes commis par ceux de leurs élèves qui ont eu maille à partir avec la justice. Cela faisait longtemps qu’on n’avait pas essayé de s’attaquer à ce qui constitue la condition sine qua non de la relation de confiance entre les travailleurs sociaux et les publics en difficulté. Chaque année, il y a des dizaines de milliers de mineurs délinquants qui sont scolarisés dans des établissements scolaires, sans que ces derniers soient informés de la nature de leur infraction. Cela permet à ces adolescents de prendre un nouveau départ, sans sentir peser sur eux le regard suspicieux des adultes. La chance leur est donnée à nouveau, de s’intégrer d’une manière anonyme, comme n’importe quel élève ordinaire, sans qu’ils soient mis en accusation, au premier acte de transgression commis dans l’établissement. Et maintenant qu’il y a eu le drame de Chambon-sur-Lignon, il faudrait dorénavant les désigner, les stigmatiser, les enfermer dans l’acte qu’ils ont commis, au risque de voir leur infraction passée leur coller à la peau. S’ils sont scolarisés, c’est en tant qu’élève et non en tant que délinquants.

Quelle prévention ?

La vérité c’est que rien ne peut garantir, ni à coup sûr, ni à l’avance, un crime. Le risque zéro n’existe pas. Il faut admettre définitivement que l’on ne peut ni tout contrôler, ni tout prévenir. On peut essayer de tout mettre en œuvre, rien n’y fera. Ni les meilleurs psychiatres, ni les meilleurs criminologues et encore moins les meilleurs travailleurs sociaux ne pourront jamais prévoir ce qu’un individu peut être amené à commettre. Il leur échappera toujours cette part d’indéterminable, cette énigme, cette pulsion non prévisible … au coeur de chaque être humain qui sont responsables parfois des pires passages à l’acte. Le risque, c’est surtout de s’enfermer et d’emprisonner le jeune dans une prédiction auto réalisatrice, le mineur concrétisant ce qu’on pense qu’il va faire. Est-ce à dire que l’on n’a plus qu’à se résigner ? Pas le moins du monde. Mais il faut réaliser que s’il y a bien une prévention à mettre en œuvre, c’est celle qu’assurent déjà les centaines de milliers d’adultes qui se pressent auprès des enfants et des jeunes. Par leur bienveillance, par leur vigilance, par leur attention, ils sont garants du respect du les uns aux autres. Leur présence permet de réguler, de canaliser, de sanctionner les comportements transgressifs. Mais, on ne peut pas à la fois supprimer 80.000 postes au sein de l’Éducation nationale et bénéficier de l’encadrement humain qui, s’il ne garantira jamais de supprimer tout risque, n’en permettra pas moins de l’encadrer. Pour un crime commis à Chambon-sur-Lignon qui fait la une des journaux, combien de dizaines de milliers d’actes de prévention, d’accompagnement, de recadrage accomplis à bas bruit par les parents, les équipes pédagogiques, les travailleurs sociaux qui ont pour conséquence d’éviter bien des drames. Ne sacrifions pas tout ce travail à un fait divers, aussi dramatique soit-il.
 
 
Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°1041 ■ 01/12/2011