Du Séraphin au Malin
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dans Billets d'humeur
Instaurée en 2004, la tarification à l’acte (T2A) détermine la rémunération des hôpitaux en fonction de la valeur moyenne de chaque acte médical fixé nationalement par une « échelle nationale des coûts » dont la pertinence n’a échappé à personne. Ce qui compte, dès lors, n’est plus le soin singulier apporté à chaque patient unique, mais la rentabilité. Confrontées aux injonctions de leurs directions financières, les équipes de soignants se voient intimer de ne pas dépasser le tarif établi. Il leur faut augmenter les cadences, réduire la durée des consultations, éviter une longue hospitalisation en privilégiant l’ambulatoire. Cette volonté de transformer l’hôpital en entreprise compétitive est une telle calamité que l’Etat a décidé de ne pas s’en arrêter à un seul désastre, mais d’en commettre d’autres. Après avoir éreinté les hôpitaux, voilà que nos technocrates ont commencé à le faire de même avec le médico-social. Impulsée en 2014, le projet SERAFIN-PH concerne les établissements médico-sociaux. Deux nomenclatures ont été élaborées décrivant pour l’une les besoins des usagers et précisant pour l’autre les prestations répondant à ces besoins. Et devinez ? C’est l’adéquation entre l’une et l’autre qui décide de la rémunération des actes d’accompagnement sociaux, éducatifs et sanitaires. Il ne reste plus qu’à fixer le temps moyen (et leur paiement correspondant) d’une toilette, de l’apprentissage de la propreté ou de l’acquisition de l’autonomie. Pour ce qui est de la gestion d’une crise d’angoisse, d’un réveil en pleine nuit suite à un cauchemar ou de l’accompagnement d’idées suicidaires, nos têtes d’œuf travailleraient encore à leur cotation, pour tenter de les intégrer aux algorithmes. Au moins, on va créer de l’emploi utile : de nouveaux gestionnaires seront recrutés pour comptabiliser tous ces actes et les répertorier grâce à des logiciels idoines. Quand la technologisation du travail social avance, l’humain qui est son cœur de métier recule.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1275 ■ 09/06/2020