S’il est bien un registre sur lequel les travailleurs sociaux sont bien peu adroits, c’est pour rendre visible ce qu’ils font, ce qu’ils vivent et ce qu’ils éprouvent. On les présente comme peu habiles dans l’exercice de l’écriture, alors que beaucoup d’entre eux ne cessent de noircir des pages. On évoque tout autant leurs difficultés à mettre des mots sur leur savoir-faire et leur savoir-être, alors que la parole reste leur premier et principal outil. Que de paradoxes ! Plusieurs explications à cela. Tout d’abord, ils n’ont rien à vendre en général, et pas à se vendre en particulier. Leur fonction est financée par une action sociale fondée sur la solidarité nationale. Ils n’ont donc pas à se faire valoir pour accroître leur part de marché. Toutes les tentatives pour les évaluer relèvent soit du leurre, soit de l’escroquerie. Sans doute parce que l’aléatoire, l’incertitude et la contingence s’imposent le plus souvent dans leur quotidien. Il y a trop de facteurs individuels, sociaux, psychologiques, biographiques, interrelationnels, conjoncturels … qui président tant à leurs réussites qu’à leurs échecs. Il serait vain et prétentieux de prétendre en maîtriser les tenants et aboutissants avant, pendant et après. Mais, s’ils sont si peu performants pour communiquer, c’est aussi parce que leur travail relève de l’indicible. Comment réussir à faire comprendre à quel point un sourire ou une grimace, un échange de regard bienveillant ou foudroyant, un petit geste ou une posture appuyée peuvent avoir une si grande importance ? Pour relever de l’anodin, ces petits riens peuvent tout changer, pour le pire, comme pour le meilleur. Mais, tout cela ne rentre dans aucun protocole, aucune norme, ni guide de bonnes pratiques. Enfin, si ce n’est pas demain la veille que nous réussirons à nous améliorer pour rendre visible notre travail, c’est que toute notre énergie est centrée sur les plus fragiles et que nous ne voulons pas les exposer à un contrôle inquisiteur. 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1316 ■ 26/04/2022