Quand la « grosse » disparait

La chasse à l’offense est devenue le nouveau sport à la mode. Il s’agit de se débarrasser de tous les propos qui pourraient déplaire à une catégorie de la population (de préférence appartenant aux minorités opprimées) et de promouvoir ainsi le combat contre le racisme, l'homophobie, le sexisme, en fait contre toutes les discriminations. Comme il faut bien commencer par un bout, c’est la littérature qui est passée à la moulinette. La tâche s’avère rude et les ciseaux d’Anastasie risquent de s’user. Mais faut c’qui faut ! Alors, on s’est attaqué au titre d’un des plus célèbres livres d’Agatha Christie « les dix petits nègres ». Bon, c’est compliqué, parce qu’avec l’inversion du stigmate, nombre de personnes à la peau noire s’interpellent entre elles en s’appelant « negro ». Oui, mais faut pas confondre. Elles, elles ont le droit. Mais pas cette cisgenre, blanche, colonialiste de surcroît. Donc, pas de pitié : on coupe. Et voilà que le noble combat contre la grossophobie vient de trouver une nouvelle victime : dans Charlie et la chocolaterie, l’auteur a l’outrecuidance d’employer l’adjectif « grosse » pour désigner une femme. Et derechef, de choisir « énorme » pour remplacer cet insupportable qualificatif. Qu’on se le dise : il ne faut plus dorénavant parler d’une « grosse » bêtise, mais d’une « grande » bêtise. Euhhh non, là ce serait se montrer discriminatoire par rapport aux personnes qui sont complexées par leur haute taille. Une bêtise « monstrueuse », alors ? Là non plus car ce terme induit l’existence d’une normalité à laquelle s’opposerait des êtres difformes qu’on n’hésitait pas autrefois à exhiber dans des cirques. Peut-être que la solution serait une bêtise « que d’aucun désigne hors-norme, mais qui possède l’irréfragable droit à l’existence, sans qu’on ait pour autant à la stigmatiser ». Oui, c’est cela. Ça, c’est bien ! … Et si, au lieu de délirer, on se contentait de contextualiser le terme en le resituant.