Choisir ses indignations

Que n’a-t-on pas entendu sur cet assassinat d’une surveillante d’externat poignardée par un collégien de 14 ans à Nogent. Ce terrible fait-divers aura été l’occasion de longues et de récurrentes divagations sur « la montée de la violence chez les jeunes », « l’épidémie d’agressions » sans oublier « la montée de la barbarie ».

Et si l’on prenait un peu de distance à l’égard de cet emballement médiatique d’une opinion publique sautant allègrement d’une indignation à une autre ? Les meilleures années, il n’y a bien heureusement aucune mort à déplorer dans nos écoles. Les pires, il y en a une. C’est évidemment une de trop. Mais, si l'on met de côté la légitime émotion qu'impliquent de telles circonstances, cet acte posé le 10 mai 2025 constitue un épiphénomène statistiquement totalement négligeable.

Ce qui est remarquable, ce n'est pas la violence qui traverse nos écoles, mais son extrême rareté. Ce qui montre le haut degré de sociabilité et d’apaisement dont fait preuve notre jeunesse. Et la qualité de l’encadrement éducatif et pédagogique dont elle bénéficie Ce qui doit étonner, ce n’est pas ce passage à l’acte isolé, mais le fait qu’il n’y en ait pas plus ! Est-il imaginable que sur 13 millions d'enfants scolarisés en France, il soit possible d’échapper à ce type de dérapage ponctuel ? Nous établissons trop souvent un raccourci entre « cela ne devrait pas arriver » (que nous validerons à l’unanimité) avec un « cela ne doit pas se passer » (qui ignore la complexité d’un fonctionnement humain qui peut être capable du pire comme du meilleur).

Cela peut nous sembler à juste raison inacceptable, insupportable et intolérable. Au point d’invoquer la folie d’un tel geste, comme cela est si tentant chaque fois que nous sommes confrontés à l’incompréhensible, l’impénétrable et l’inconcevable d’un acte difficilement décodable à décoder. Mais quand le monde est capable de laisser se faire massacrer ou blesser plus de 50 000 enfants à Gaza, sans réagir autrement qu’en élevant de vagues protestations stériles, il est possible de se poser la question. Qui justifierait le plus de subir un examen psychiatrique pour mesurer son niveau de santé mentale : cet adolescent meurtrier ou la communauté internationale ? Le lecteur pourra crier à l’amalgame. Reste que notre émotion est trop souvent à géométrie variable. Nous nous indignons ou nous banalisons selon nos convictions, nos représentations des priorités et finalement la valeur que nous accordons à la vie.

Pour un personnel éducatif décédant sur une année, on en compte 300 succombant par accident du travail dans le secteur du bâtiment ! Rien que lors des deux derniers mois de l’année scolaire Lorenz, apprenti maçon de 15 ans, Lucas lycée en Bac Pro mécanique de 17 ans et Axel, lycéen de seconde en stage d’observation sont décédés sur leur lieu de travail. Et là, pas de minute de silence. Pas de "une" de journaux scandalisés. Pas d'émission pour en comprendre la « raison profonde ». Rien. Juste le silence.

Il sera toujours possible d’objecter qu’il n’y a pas de volonté délibérée de nuire. Effectivement, c’est juste l’effet secondaire de la recherche de rentabilité qui incite à la négligence des règles de sécurité, à la précipitation dans l’accomplissement d’une tâche, au risque pris pour réduire les délais de production. Il faut se montrer compétitif. Est-ce là moins condamnable que de porter des coups de couteau ? Au lecteur de répondre à cette question.