Le 10 avril, Arte programmait, en première partie de soirée, « 3 X Manon », une série de trois épisodes, décrivant le cheminement d’une adolescente placée en centre éducatif fermé. Pour réaliser cette fiction, Jean-Xavier de Lestrade explique avoir épluché les rapports de Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté et rencontré des professionnels de terrain. Du côté des adolescentes prises en charge, le jeu est impressionnant d’intensité et de vérité. Mais, du côté des professionnels, c’est plutôt la stupéfaction ! Un directeur tyrannique et stupide, des éducateurs sans autre formation que quelques semaines consacrées à l’apprentissage de la contention, un prof de sport au QI de poule … Les seuls qui présentent quelque compétence sont justement les intervenants qui n’ont pas de fonction directe d’accompagnement éducatif et qui, pourtant, le font admirablement. Une maîtresse maison d’une sensibilité remarquable, ne parlant guère mais qui a tout compris, une enseignante à la pédagogie exceptionnelle, un avocat sortant de son rôle juridique pour se muer en travailleur social pertinent et efficace. Le seul éducateur spécialisé qui fait bien son travail est très vite licencié. Les autres passent quand même, un peu, pour une bande d’abrutis, ne comprenant rien à rien. Cette fiction est finalement très symbolique de l’image véhiculée par notre profession. De l’extérieur, on ne déchiffre pas toujours le sens de notre action. C’est vrai qu’en matière de communication, nous ne savons pas vraiment nous rendre visible et intelligible aux yeux du profane. Serions-nous donc de si piètres communicants ? Ne faut-il pas plutôt chercher du côté de l’incertain, de l’indéterminé et de l’indicible qui constituent le cœur de notre travail ? L’alchimie relationnelle que nous élaborons au quotidien est produite à partir d’intuitions, de bricolages et d’improvisations. A défaut d’être compréhensibles, difficile dans ces conditions d’être compris.

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1143 ■ 12/06/2014