S’adapter

« Tu sais, il faut toujours goûter la nourriture, avant de dire qu’on ne l’aime pas », affirme avec assurance un éducateur à Samuel, dix ans, qui boude devant son assiette, bien décidé à ne pas en avaler la moindre portion. « Oui, je le sais », lui répond l’enfant. « Mais, toi tu viens d’arriver au foyer. Moi, ça fait cinq ans que j’y vis. Et tous les éducateurs que j’ai connus m’on expliqué la même chose. Alors, depuis le temps, j’ai eu l’occasion de tout goûter. Et ça, je peux te le dire, j’aime pas » Cette savoureuse réplique, rapportée par une collègue d’internat, va bien au-delà du seul « mot d’enfant ». Elle nous rappelle combien, parfois, le temps passé par certains mômes en MECS est long. Et combien la liste des professionnels se succédant à leurs côtés ne l’est pas moins ! Chaque nouvel éducateur surgit, avec sa pratique, ses représentations, ses habitudes familiales et personnelles, sans prendre toujours suffisamment en compte la culture élaborée, au cours des années, par le groupe d’enfants auprès duquel il arrive. Mais, la situation inverse existe aussi : ces équipes éducatives stables et implantées depuis longtemps qui voient leur groupe de mômes changer au cours des années, bouleversés par les retours en famille ou les réorientations. L’adaptation continue aux situations qui peuvent s’avérer mouvantes et incertaines constitue l’un des principes de base d’une profession qui n’a pu se construire qu’en intégrant l’incertitude, l’aléatoire et le contingent.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1128 ■ 28/11/2013