Tout changement n’est pas progrès

Le poste d’assistante sociale vient d’être supprimé. L’usager, qui se présente au service, doit utiliser un interphone doté d’un synthétiseur vocal :

« Bonjour : énoncez votre problème 
-- Euhhh, en fait j’ai un problème financier… mais ça ne va pas non plus très bien dans mon couple… et puis mon logement est trop petit…
-- Je n’ai pas compris votre problème : si vous rencontrez des difficultés financières, tapez 1 ; si vous subissez une souffrance au travail, tapez 2 ; si vous vivez une crise dans votre couple, tapez 3 ; si vous avez un souci de logement, tapez 4, si vous ressentez une anxiété psychologique, tapez 5 ; si vous avez un autre problème, tapez 6 …
-- euhhh, je tape 6
-- je vous mets en communication avec un conseiller
(musique d’attente)
-- (même voix synthétique) Bonjour : énoncez votre problème 
 (silence stupéfait)
--Vous avez dépassé le temps de réponse : veuillez renouveler votre appel. » 

Cette fable, imaginée par les assistantes sociales du travail du ministère de la défense en formation continue, symbolise bien la problématique des mutations contemporaines. On nous les présente comme une plus-value, toute opposition étant aussitôt qualifiée de « résistance au changement » et assimilée à de l’immobilisme. Certes, contester toute variation de ses habitudes de travail n’est pas légitime en soi. Mais, à l’inverse, toute innovation n’est pas, par essence, bénéfique et les craintes face aux conséquences jugées néfastes toujours passéistes. Michel Onfray illustre cette polysémie sémantique par une métaphore : face au cancer qui progresse, on préfère conserver la santé. La soi-disant modernité de certaines rénovations s’avère parfois être un dévoiement impulsé par la seule volonté d’alignement sur les lois du marché. Si l’on ne peut valider toute hostilité face à la moindre évolution, il n’est pas question de sacrifier nos valeurs sur l’autel d’adaptations prétendument indispensables et inéluctables… qui mènent à une régression. 

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1216 ■ 02/11/2017