D’un côté, il y a ces petits soldats, le doigt sur la couture du pantalon, prêts à avaliser n’importe quel ordre, respectueux de la hiérarchie et n’hésitant pas à défendre sur commande le contraire de ce qu’ils affirmaient la veille encore. Qui sont-ils ? L’arriviste, d’abord : que ne ferait-il pas pour faciliter sa carrière. Le courtisan, ensuite : tout faire pour plaire au maître du moment. Le mouton, encore : caresser dans le sens du poil, aller dans le sens du vent, s’aligner sur l’avis général. Et puis, il y a cette expérience menée par Stuart Milgram, au début des années 1960, sur la soumission à l’autorité, démontrant que 65 % des simples citoyens sont prêts à obéir et à commettre les pires horreurs du moment qu’elles sont ordonnées par une autorité légitime. De l’autre côté, il y a celles et ceux qui agissent et réagissent en cohérence avec leurs principes éthiques et en accord avec leur déontologie, en phase avec leurs convictions intimes et en totale connexion avec leur conception de la dignité humaine. On les a appelés successivement les « justes parmi les nations » (ils ont sauvé des juifs pendant la seconde guerre mondiale), les « refusants » (ils se sont opposés au génocide du Rwanda), les « lanceurs d’alerte » (ils dénoncent des faits illégaux, illicites et dangereux). Ils n’agissent pas par idéologie ou par calcul, par recherche d’une quelconque célébrité ou dans l’attente de dividendes. Ils se comportent ainsi, parce qu’ils ne sauraient faire autrement, parce qu’ils ont envie de continuer à se regarder dans le miroir, parce que cela leur semble évident. Aujourd’hui, ils ont pris le visage de Ibtissam Bouchaara, éducatrice à la Sauvegarde de la Marne, licenciée pour avoir dénoncé les conditions d’accueil indignes des mineurs étrangers isolés du Foyer Bellevue de Châlons-en-Champagne, Denko Sissoko l’un d’entre eux s’étant suicidé par défenestration, le 6 janvier. Hommage à celle qui a sauvé l’honneur de notre profession.

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1201 ■ 16/02/2017