En 2005, une adolescente souffrant d’anorexie mentale réussit à fuguer d’un hôpital psychiatrique, où elle était prise en charge, après trois tentatives de suicide. Elle se jette à nouveau dans le vide. Elle survit à ses blessures, mais reste hémiplégique. Sa famille porte plainte. Se prononçant en référé en 2011, le Tribunal administratif condamne l’établissement à une avance sur indemnité de 110.000 €, pour « défaut de surveillance et mauvaise adaptation des locaux ». La décision rendue sur le fond, fin juillet, conclut qu’aucune faute ne peut être imputée à l’hôpital. La famille est déboutée et obligée de rembourser l’avance reçue. La première réaction est, sans hésiter, la compassion. Avec mille suicides d’adolescents par an, notre pays affiche un terrible record. Tout doit être fait pour prévenir ces passages à l’acte. Cette jeune fille qui, heureusement, a réussi à survivre doit recevoir toute la solidarité de la société, pour l’aider à poursuivre son existence. L’argent reçu a servi à aménager ses conditions de vie. Et ce serait bien qu’elle n’ait pas à le restituer. Mais, la seconde réaction, c’est aussi l’étonnement : comment peut-on rendre responsable cet hôpital de l’acte posé par cette adolescente ? Il est délicat de déterminer, après coup, la légitimité des éventuels risques pris par cette équipe hospitalière. La contention s’articule avec le lien de confiance. La marge de manœuvre accordée, pour que le soin progresse, peut être utilisé par un patient pour s’enfuir.  Faudra-t-il, dorénavant, enchaîner les jeunes suicidaires, pour éviter qu’ils ne s’échappent ? Faudra-t-il, à l’avenir, condamner aussi tous les gestionnaires de bâtiments en hauteur pour leur incapacité à prévenir les suicides ? Faudra-t-il incriminer tous les professionnels échouant dans leur tentative d’accompagnement ? A cette aune, le travail social risquerait, lui aussi, d’être pénalisé, tant il ne peut, lui non plus, être soumis à aucune obligation de résultat.

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1176 ■ 07/12/2016