Comptes-rendus
ARSINOE 2015 - Renaître après l’inceste
Colloque après colloque, l’association ARSINOE sensibilise ses participants à une terrible réalité encore trop souvent négligée, mais surtout ouvre les pistes de reconstruction possible, après le traumatisme subi. Les journées des 4 et 5 juin s’inscrivaient dans la même quête (1).
L’état des lieux dressé par Violaine Guérin (2) n’est guère rassurant. Si les statistiques des services judiciaires établissaient les faits de viol, en 2010, à plus de 10.000, celles de l’enquête « Cadre de vie-Sécurité » menée en 2010-2011, auprès d’une population de 18-75 ans, les multipliait par trente (286.000 victimes). Quant à l’enquête diligentée dans les milieux sportifs en 2007/2008, elle établissait que 113 des 356 mineurs interrogés avaient vécu des violences sexuelles. Au final, un homme sur six et une femme sur quatre seraient victimes d’une agression, à un moment de leur existence. Mais, pour graves et invalidants que puissent constituer les effets du traumatisme induit, ils ne sont pas pour autant irréparables. C’est ce que sont venus démontrer tant de grands témoins acteurs du mécanisme de résilience, que des thérapeutes cherchant à y concourir. C’est, d’abord, Laurence Noëlle agressée sexuellement par son beau-père, puis confrontée à la prostitution, qui réussit à se reconstruire à la suite d’un long cheminement. Ou encore, Sandrine Rochel qui, violée par son père de 7 à 17 ans, se relèvera elle aussi, après avoir dénoncé son agresseur. L’une et l’autre ont fait le choix de publier, en 2013, le récit de leur calvaire et de leur relèvement (3). La première assure des formations dans les écoles de travailleurs sociaux et les prisons, la seconde a créé une association destinée à venir en aide aux victimes (4).
Bouquet de thérapies
Le choix d’ARSINOE n’a jamais été de privilégier une école thérapeutique plus qu’une autre, mais de valoriser tout ce qui peut l’être, pour aider, accompagner et soutenir la reconstruction après l’agression sexuelle. Ainsi, a-t-on vu se côtoyer, pendant deux jours, des pratiques d’inspiration des plus éclectiques. Pierre Sabourin a présenté la pratique élaborée par le Centre des Buttes-Chaumont, qui articule une psychanalyse inspirée de Sandor Ferenczi et la Systémie : l’enfant victime participe à des séances mensuelles regroupant autour de lui, sa mère ou son assistante familiale, les travailleurs sociaux qui le prennent en charge, les avocats qui le défendant. L’objectif est de passer de la thérapie familiale à une thérapie de réseau, dans une dynamique socio-médico-psycho-judiciaire. Auréliano Pacciolla, psychothérapeute italien, spécialiste de la logothérapie de Victor Frankl, propose au patient une recherche de sens qui se focalise non sur ce qu’il a subi, mais sur son avenir. Et de reprendre, pour y parvenir, les nombreuses convictions produites pas le traumatisme, qui ne font que perpétuer la souffrance : « je suis indigne », « j’ai laissé faire donc j’ai autorisé », « le dommage subi est irrémédiable », « je suis responsable de ce qui m’est arrivé ». Michel Schittecatte, quant à lui, praticien en Somatic Experiencing, technique initiée par Peter Levine, développe une démarche originale qui s’intéresse aux réactions physiologiques instinctives intervenant face au traumatisme : la victime incapable de fuir ou d’attaquer, se protège dans le figement et la paralysie. Et ce sont ces postures qui sont retravaillées, dans l’ici et le maintenant, afin de la libérer de leurs effets destructeurs. Pour Violaine Guérin enfin, tout l’enjeu réside dans le rassemblement du corps et de l’esprit, dans un délai le plus court possible, le protocole personnalisé de soin ainsi programmé devant permettre à la victime de se libérer des mécanismes d’emprise de l’agresseur. Pour diverses que soient les différentes thérapies ainsi présentées, elles cherchent toutes, à leur manière, à restaurer la dignité, la continuité et l’identité de la victime, investissant chacune un registre à même de la redynamiser.
(1) « Comment retrouver dignité et sens à la vie après un abus sexuel ? Journées internationales d’étude et de réflexion, Angers, 4 et 5 juin organisées par ARSINOE (Autre Regard sur l’Inceste pour Ouvrir sur l’Espoir) www.arsinoe.org
(2) www.stopauxviolencessexuelles.com
(3) « Survivre à l’enfer » Sandrine Rochel, ed. Boite à Pandore ; « Renaître de ses hontes » Laurence Noëlle, Le Passeur Editeur, 2013
(4) www.vivresoleilrenaitre.org
Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°1167 ■ 09/07/2015