ANAS - Le secret professionnel en question(s)

Comment articuler ce secret essentiel à la relation de confiance et au rôle de confident nécessaire qui fonde la profession d’assistant de service social et le travail de partenariat ? C’est la question qui a été travaillée lors des journées d’étude de l’ANAS.

S’il est bien un reproche que l’on fait fréquemment aux assistants de service social, c’est de trop souvent se réfugier derrière leur secret professionnel, pour refuser de communiquer quoi que ce soit de leurs suivis à leurs partenaires du champ social. Il est vrai que les articles 226-13 et 226-14 du code pénal leur font obligation d’avoir à taire ce qu’ils apprennent au cours de leur exercice professionnel. Seules les situations de mauvais traitements sur personnes vulnérables et de détention dangereuse d’une arme les exonèrent du secret professionnel mais ne les oblige pas à y déroger. Cela relève de leur conscience. Pour autant, la généralisation de cette position est intenable dans un contexte marqué de plus en plus par la dimension inter partenariale, où la transmission d’informations apparaît incontournable. L’attitude des assistants de service social s’apparenterait en quelque sorte au paradoxe : « je veux bien tout connaître de ce que vous-même savez dans cette situation, mais vous ne saurez rien de ce que je sais moi-même ». De nombreux secteurs de l’action socio-éducative ont de fait plus ou moins régulé ce problème : les réunions de synthèse de protection de l’enfance, les réunions d’équipe d’établissement d’accueil pour enfants ou pour adultes, les commissions d’admission où il faut présenter un dossier, les instances auprès desquelles solliciter une aide financière etc… Cela fait longtemps que les assistants de service social qui interviennent dans ces contextes particuliers, quoique de plus en plus fréquents, jonglent avec ce qu’ils décident de dire ou de ne pas dire. Ils ne peuvent se contenter d’adopter un parfait mutisme. Sauf à ne pas être du tout présent et/Ou à voir leurs places non reconnues ou leurs demandes rejetées. Chaque professionnel a adopté ses propres pratiques et ses propres habitudes. Il était intéressant d’en esquisser l’inventaire avant de tenter de délimiter les possibilités et les limites du partage de l’information et d’élaborer un début de procédure commune. C’est ce que proposa la journée du 11 novembre qui a réuni plus de 70 professionnel(le)s qui n’hésitèrent pas à consacrer ainsi leur jour férié à la réflexion commune. De cette mise en commun des expériences, il apparut que les assistants de service sociaux ne pouvaient continuer à revendiquer un mutisme largement dépassé dans les faits. Mais, il ne s’agissait pas, pour autant, d’être dans la confusion qui placerait les diverses fonctions du travail social dans une logique d’interchangeabilité qui ne pourrait qu’appauvrir les missions imparties. Chacun doit à la fois garder la spécificité qui fait la richesse de son rôle et savoir néanmoins entrer dans une relation de collaboration et de complémentarité intelligentes. Tenir cette tension entre l’originalité de chacun et la nécessité d’un travail en commun passe d’abord par une clarification des concepts. Ainsi, il ne s’agirait pas d’accéder à un secret partagé, mais bien plutôt des conditions de partage d’une information couverte par le secret professionnel. Il y a là plus qu’une nuance. Il faut identifier les partenaires vers qui pourrait s’opérer ce partage d’information. Il n’est pas indifférent de s’adresser à des pairs, eux-mêmes professionnels du social qui sont de par leur formation et leur pratique quotidienne, au mieux tenus au secret professionnel et au moins sensibilisés à la nécessaire discrétion, ou de se trouver confronté à des bénévoles, des administratifs, des élus, des gestionnaires dont ce n’est pas la culture naturelle. L’exemple de la loi Sarkozy sur la prévention de la délinquance est à cet effet emblématique. Confier des informations sur les usagers au premier magistrat de la commune ou à celui qu’il désigne (qui ne sera pas tenu par le secret à l’égard du maire) ne garantit aucunement comment ces information seront utilisées au profit ou au détriment de ces usagers. D’où la nécessité de réfléchir à une méthodologie de l’échange d’information. Définir au départ avec qui l’on va partager, pourquoi l’on va partager et ce que l’on va partager. Cette approche implique à la fois de la vigilance et de l’exigence. Elle doit néanmoins rester souple, en sachant à la fois tenir compte de l’histoire locale du travail partenarial, s’adapter aux différents contextes institutionnels et dépasser les individualités pour pérenniser les procédures. D’où la pertinence d’un accord minimal entre partenaires. Certains parlent d’un code de bonne conduite, d’autres d’une chartre. Peu importe l’appellation. Ce qui compte, c’est de formaliser un dispositif d’échange d’informations qui respecte la place de chacun, qui précise l’étendue et les limites du partage, qui donne les garanties minimales que l’usager sera le bénéficiaire ultime de cette concertation … et qui le positionne au centre. Car, c’est bien là l’axe qui doit rester premier : comment associer l’usager et le positionner en acteur du partage de l’information qui le concerne au premier chef ? Il convient sans doute de trouver les modalités pour qu’il ne soit pas l’objet passif de professionnels parlant de lui et sur lui, mais d’en faire un sujet réactif de ce qui va se jouer à son propos, même s’il est physiquement absent.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°828 ■ 15/02/2007